Thierry Marx : « Les volutes méditatives d’un petit Ramon Allones »
Comme tous nos grands chefs, Thierry Marx, en dépit de la crise, doit gérer ses affaires, en France comme à l’international, et anticiper une réouverture qu’il appelle de ses voeux, mais sans précipitation et dans des conditions de sécurité optimales pour ses clients.
En attendant, il a le confinement actif et engagé, tout en tentant de se ménager quelques plages de solitude, de méditation, parfumées au havane.
Thierry Marx, où êtes-vous confiné, et dans quelles conditions ?
Des conditions acceptables. Je suis à Paris, mais pas dans le bateau où je vis habituellement, un lieu épuré, minimaliste, magique. Là, j’ai préféré mon atelier, au fond d’une cour, près de la République. C’est un peu sombre, mais nous avons la chance d’avoir, sur le toit, un jardin de 400 m2, avec un potager, un herbier, deux oliviers !
Que faites-vous de vos journées ?
Je suis un homme d’habitudes. Je me lève toujours très tôt le matin, je fais du sport. En ce moment, malheureusement, je ne peux plus aller au dojo pratiquer mes chers arts martiaux, judo et kendo, mais je fais de la culture physique afin de m’entretenir, de ne pas prendre de poids, et je cours. Ensuite, je réponds à des conférences téléphoniques avec Hong-Kong, les Etats-Unis, et le Japon, où j’ai des restaurants. Ils sont confinés, mais certains sont actuellement ouverts.
Il y a en ce moment des gens à Hong-Kong qui mangent chez Thierry Marx, alors qu’il ne peut plus cuisiner ? Ca fait bizarre, non ?
Oui, un peu. Mais dans des conditions sanitaires correctes. A Hong-Kong notamment, depuis l’épidémie de SRAS de 2002-2003, on a mis en place des conditions sanitaires éprouvées, on sait établir des « process » sanitaires renforcés, afin que tout le monde, fournisseurs, employés, clients, soit en sécurité. La restauration, c’est avant tout un lien de confiance.
Vous n’avez pas signé l’appel de plusieurs de vos collègues chefs à la réouverture rapide des restaurants. Pourquoi ? Vous n’êtes pas d’accord avec eux ?
Si, c’est bien. Ils ont eu raison de tirer le signal d’alarme et d’attirer l’attention sur notre situation. Mais ils sont allés un peu vite en ce qui concerne la réouverture. Le problème n°1 actuellement, c’est le virus. Le reste va venir en son temps, et avec des conditions sanitaires différentes. Je le répète, la restauration, c’est un lien de confiance. Et puis, je ne suis pas très friand d’exposition médiatique.
« Je ne fume plus que des petits Ramon Allones qu’un ami m’a fait découvrir »
En ces temps difficiles, vous essayez de vous rendre utile, je crois ?
Je pense que chacun doit rester concentré sur l’essentiel, et mettre ses compétences au service de tout le monde. Je dirige trois écoles de boulangerie et neuf écoles de cuisine. Dans chacune, des professeurs, des élèves, des volontaires, produisent chaque jour du pain pour les Restos du Coeur, que des bénévoles viennent chercher pour faire des sandwiches distribués aux plus démunis. En ce moment, en France, à Paris, en bas de chez nous, il y a des gens qui n’ont plus rien du tout. Tout le monde, autour de nous, notamment les fournisseurs, les minotiers, a ouvert les vannes de la générosité.
Thierry Marx, c’est aussi un chef d’entreprise. Combien de divisions ?
800 personnes dans le monde, dont 350 en France. Ca demande un peu de structure !
Et quelle est la situation de vos employés ?
-Ils sont au chômage technique, comme nombre de salariés. Mais ça se passe beaucoup mieux en France qu’aux Etats-Unis ou au Japon, du point de vue des mesures sociales d’accompagnement. Le gouvernement a réagi d’une façon saine et rapide pour soulager la situation des travailleurs. Nous, notre priorité, c’est la sécurité de notre personnel.
Quand on vous écoute, on ne perçoit aucune nervosité, mais une sorte de solidité zen, d’efficacité…
Quand je sens un certain flottement, je vais me coucher ! Je me souviens de ce que me disait mon grand-père, devenu français en 1914 : « Il n’y a que la mort qui soit irréversible ! » Si tu es vivant, tu avances. Et là, nous sommes debout, solides, sur la brèche.
Est-ce que le cigare vous aide à gérer tout ça ? A évacuer un stress éventuel ?
Tout à fait. Mais je l’ai un peu raréfié. Je ne fume plus que de temps à autre, dans mon jardin, seul, le soir, avec un bon bouquin. Et j’ai aussi réduit le module : je ne fume plus que des petits Ramon Allones qu’un ami m’a fait découvrir un jour dans une corrida à Nîmes. J’apprécie ses volutes méditatives. Le problème, c’est que je ne parviens pas à en trouver régulièrement. Je préfère attendre, plutôt que de fumer un plus gros module. Le fantasme des chefs avec le gros barreau de chaise, la grosse bagnole, la grosse montre, ce n’est pas l’image que je veux donner du cigare.
La première chose que vous ferez après la libération ?
Retrouver mon dojo le plus vite possible.
Propos recueillis par Jean-Claude Perrier
(Photos : Luc Monnet)
Nous vous proposons également de relire le portrait que nous avions consacré à Thierry Marx en septembre 2008 (ADC n°66, lien ci-dessous) :
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