« Terrasse interdite aux cigares »
L’avis, affiché dans certains établissements, ne manque pas de surprendre par sa radicalité et son ton inhospitalier. Juridiquement, cette « interdiction » ne tient pas.
Par Me Michaël Grienenberger-Fass, avocat au barreau de Paris
La situation juridique est simple : voici une terrasse située sur le domaine public (un trottoir, une berge, un quai…), voilà un gérant d’un établissement décidé à chasser les fumeurs de cigares.
Au plan du droit, pour que le gérant soit autorisé à occuper le domaine public, il doit en obtenir l’autorisation par le propriétaire qui, dans la grande majorité des cas, sera la commune. La relation juridique entre les deux parties prend alors la forme d’une autorisation payante d’occuper le domaine public.
Or, quelle que soit la forme de ladite autorisation, dans tous les cas l’occupant doit occuper le bien dans le respect de l’affectation de ce dernier, c’est-à-dire de sa destination ou de son objet. L’article 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques formule ainsi le principe : « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous. » Autrement dit, la notion de compatibilité s’entend largement : l’activité de l’occupant ne doit pas s’opposer à l’affectation, mais tout ce qui n’est pas contraire au respect de l’affectation est autorisé.
Un droit d’usage qui appartient à tous
C’est ici que l’amateur de cigares retrouve quelque intérêt au droit : si l’occupant du domaine ne peut utiliser le bien « dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous », c’est qu’il ne peut instaurer des règles d’occupation qui auraient pour conséquence d’empêcher cet usage.
Voilà une première bonne raison de penser que l’interdiction décidée unilatéralement par certains gérants d’établissements de restauration en terrasse va au-delà de ce qu’autorise le titre les autorisant à occuper le domaine. Il est en effet indiscutable que fumer sur la voie publique est constamment autorisé, dans les conditions évidemment prévues par la loi. Cela est d’autant moins douteux que l’affectataire – notre gérant opposé aux volutes – doit tenir compte de deux points juridiques incontournables : ce que disent les textes sur l’autorisation de fumer sur la voie publique et le principe d’égalité entre les usagers du domaine que le gérant du café ou du restaurant se doit de respecter.
Aucun fondement juridique
L’injustice faite aux fumeurs de cigares n’a, en réalité, aucun fondement juridique solide.
Du côté des textes, rien n’interdit de déguster un module sur une terrasse ouverte. L’article L. 3512-8 du code de la santé publique, créé par l’article 1er de l’ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016, dispose qu’« il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs ».
La circulaire du 29 novembre 2006 relative à l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif était également très claire sur le fait que « la notion de lieu accueillant du public doit s’entendre par opposition au domicile et à tout autre lieu à usage privatif » et sur le fait que « s’agissant des locaux dits de convivialité tels que les cafés, les restaurants, les discothèques, les casinos, l’interdiction s’applique dans les lieux fermés et couverts, même si la façade est amovible. II sera donc permis de fumer sur les terrasses, dès lors qu’elles ne sont pas couvertes ou que la façade est ouverte ».
Malgré les récentes modifications du droit, la source légale (l’article L. 3512-8 du code de la santé publique) est demeurée inchangée et on ne voit pas pourquoi l’interprétation des textes d’application, telle que retenue par la circulaire du 29 novembre 2006, devrait être considérée comme dépassée. Il est donc parfaitement clair qu’aucun texte n’interdit de fumer, fût-ce un cigare, sur une terrasse « ouverte », c’est-à-dire non couverte et non partiellement fermée, par exemple par une façade amovible. En d’autres termes, fumer sur une terrasse de plein air est parfaitement autorisé.
Aucune jurisprudence
Le fondement d’une hypothétique interdiction n’est pas davantage jurisprudentiel : on chercherait en vain du côté du juge, qu’il soit judiciaire ou administratif, une quelconque décision posant le principe de l’interdiction de fumer en terrasse.
Enfin, et en tout état de cause, le principe d’égalité – qui a la valeur d’un principe général du droit lorsqu’il est évoqué devant le juge – interdit que des discriminations non fondées objectivement soient imposées aux usagers du domaine public.
De cette manière, si les textes autorisent à fumer sur les terrasses des cafés et restaurants dans les conditions qui viennent d’être explicitées et si, de surcroît, l’affectation du bien à l’usage du public ne s’oppose en rien à une telle pratique, c’est que le droit de fumer doit s’appliquer de manière égalitaire entre les fumeurs. Pas question de ce fait de créer un régime d’interdiction spécifique aux amateurs de cigares.
On rappellera donc aux restaurateurs et gérants de cafés anti-cigares que, parmi les causes justifiant le retrait du titre d’occupation ou la résiliation de la convention d’occupation, se trouve le fait de ne pas respecter la réglementation en vigueur. Celle sur le tabac en fait évidemment partie.
Photo : @maduro.leo
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