Javier Sotomayor, l’homme le plus haut du monde !
Amateur de havanes, le Cubain Javier Sotomayor dirige aujourd’hui la Fédération d’athlétisme de Cuba. Nous l’avons rencontré chez lui, dans le grand stade panaméricain de La Havane.
Sotomayor est détenteur de six titres mondiaux de saut en hauteur, d’un titre olympique et de cinq records du monde, dont le fameux 2,45 m, indépassé depuis plus de vingt-quatre ans. Une légende vivante. On l’appelle Salto Mayor (Saut Majeur), Principe de Limonar (Prince de Limonar, bourgade de Matanzas où il est né) ou encore Salta Nubes (Saute-Nuage), mais le surnom qu’il préfère est celui d’El Principe de las Alturas (Prince des Hauteurs), même si ce pseudonyme le laisse perplexe à cause de la question que lui a posée l’un de ses fils : « Et qui est le roi si toi tu es le prince… ? » Sa technique singulière est restée inimitée : une course très cadencée par de grandes enjambées et les deux bras en l’air au moment du saut.
Votre saut le plus difficile, ce fut le 2,45 m à Salamanque en 1993 ?
Non : passer 2,36 m à dix-neuf ans, dans le cadre de la compétition juvénile d’Athènes, a été à mon avis un exploit supérieur. C’est là aussi un record toujours inégalé ! Mais le plus éprouvant pour le mental fut de passer 2,33 m à seulement seize ans. C’est là que ma carrière a véritablement commencé. Il y a des saisons où tu sais que tu vas te surpasser, tu le sens, et tu mets la barre haut, certain que tu vas pouvoir passer. Le saut en hauteur, c’est beaucoup de concentration, un dépassement de soi. Beaucoup de travail aussi : je me suis quand même entraîné quatre ans pour gagner 1 cm [2,44 m en 1989 à San Juan et 2,45 m à Salamanque en 1993, ndlr] !
Pourquoi Salamanque en 1993 ?
Nous n’avions pas pu aller à Séoul pour les JO d’été de 88 en raison du boycott [la Corée du Nord ayant décidé de boycotter ces jeux, Cuba, l’Éthiopie et le Nicaragua ont également refusé d’y participer, ndlr]. Nous avons donc cherché une autre compétition officielle pendant l’été et ce fut celle de Salamanque. C’est là que j’ai passé pour la première fois les 2,40 m et battu le record de mon ami le Suédois Patrick Sjoeberg en franchissant les 2,43 m. Je pense que me retrouver cinq ans après à Salamanque, sur les lieux de ma consécration, m’a aidé psychologiquement.
Vous n’avez pas pris part à beaucoup de jeux Olympiques finalement
On n’a donc pas pu aller à Séoul ; pour Atlanta, j’étais blessé à la cheville, et c’était dans mes meilleures années. Ma seule médaille d’or, je l’ai gagnée à Barcelone en 1992 avec 2,34 m.
Qu’est-ce que l’école d’athlétisme de Cuba a de particulier ?
Ce sont les entraîneurs qui font la différence. J’ai eu la chance d’en avoir principalement deux d’exceptionnels, l’un qui m’a mené à la gloire et le second qui m’y a maintenu. Mais effectivement, chaque pays a ses propres méthodes. Par exemple, les Européens s’entraînent davantage en salle et nous plus en plein air. C’est pourquoi je préfère le plein air si les conditions sont bonnes : chaleur moyenne, peu de vent, pas de pluie bien sûr. D’ailleurs, mes meilleurs records ont été établis en extérieur. Mais on ne peut pas affirmer qu’une technique d’entraînement soit meilleure qu’une autre.
Les résultats sont moins bons aujourd’hui pour les Cubains. Il y a moins de sportifs de talent dans l’île ?
Non, nous avons de très bons sélectionneurs qui savent repérer les futurs champions. Et les talents sont toujours au rendez-vous ! La différence, par rapport aux années 1980, c’est qu’on a perdu en infrastructures. Nous sommes restés sur nos acquis alors que d’autres pays ont évolué, ils se sont donné plus de moyens après avoir pris conscience de l’importance du sport dans la société. Fidel, lui, avait eu cette vision et c’est pourquoi 80 % de nos médailles ont été gagnées après 1960.
Êtes-vous un sportif professionnel ?
Nous n’aimons pas utiliser ce terme à Cuba. Mais en effet, d’une certaine façon, nous le sommes puisque l’État nous verse un salaire pour nous entraîner. Et nous touchons des primes liées aux résultats. La totalité des gains nous revient directement depuis deux ans, net d’impôt – on les partage avec l’entraîneur et le médecin. Néanmoins, nous n’avons aucun contrat de sponsor, ce qui nous distingue des professionnels d’autres pays.
Et aujourd’hui, à cinquante ans, quelles sont vos activités ?
J’ai d’abord créé Salsa Mayor, un groupe de musique dont je me suis occupé pendant cinq ans. Aujourd’hui, grâce à son nouveau directeur, Maykel Blanco, c’est l’un des meilleurs de Cuba. J’ai aussi ouvert un bar qui sera rebaptisé cet été, lors de sa réouverture avec un nouvel associé, le 245. Mais en fait, pour l’essentiel, je suis revenu au sport, et à l’athlétisme en particulier, comme secrétaire général de la Fédération cubaine d’athlétisme. Dans les grandes lignes, je suis chargé de valider les plans d’entraînement et les sélections des jeunes talents. Nous avons de bons espoirs en ce moment avec les lanceurs de disque et le saut à la perche. On s’entraîne pour les prochains jeux Panaméricains.
À quand un rendez-vous au 245 pour partager un cigare alors ?
Ce serait avec plaisir ! J’aime fumer un cigare avec des amis, Je le faisais régulièrement avec mes clients du bar mais on se laisse facilement entraîner et je terminais à quatre heures du matin pour débuter une nouvelle journée à sept heures… On ne tient pas longtemps à ce rythme. Alors, désormais, je serai davantage client que tenancier. Le 245, dans le quartier de Miramar, offre une belle atmosphère pour parler de sport et pour déguster…
Le cigare et le sport font bon ménage ?
On ne devrait pas fumer, évidemment. À haut niveau, ça altère forcément les performances. Néanmoins, j’ai connu en Europe de nombreux athlètes qui fumaient, mais c’était la cigarette. Moi, j’ai toujours fumé le cigare de façon occasionnelle, dans une ambiance festive, et ça ne m’a jamais affecté.
Par deux fois on a parlé de dopage durant votre carrière…
Et on a également dénoncé ces accusations, notamment le Comité olympique. On m’a souvent attaqué. Or j’ai dû passer plus de trois cents tests durant mes années de compétitions. On est même venu me chercher une fois sur la plage de Varadero ! Il faut comprendre que c’est l’image de Cuba qu’on a voulu salir à travers moi. Pour certains, il était difficile d’accepter qu’un record si universel puisse être représenté par Cuba. Les protocoles des tests n’ont jamais été respectés, ni même l’anonymat. On a dit que j’avais absorbé des doses que même un éléphant n’aurait pas supportées !
Votre record est-il menacé aujourd’hui ?
Il y a le Qatari Mutaz Essa Barshim. Il est jeune et il est le seul à avoir passé les 2,43 m. Il vise les 2,50 m et je l’encourage ! En 2001, j’ai moi-même essayé les 2,46 m à Mar del Plata… Mais mon meilleur rival, que j’ai côtoyé durant toute ma carrière, reste Patrick Sjoeberg. On se rencontre toujours, sur les stades comme dans le privé.
Vous resterez l’homme le plus haut du monde encore longtemps ?
Même si tout le monde s’accorde à dire qu’avec 2,45 m, on est proche des limites humaines, je pense que je verrai mon record tomber un de ces jours. Mais le maintenir depuis vingt-quatre ans est aussi un record !
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