Renaud Capuçon : « Ces journées sans voyages, sans concert, n’ont rien d’ennuyeux »
Cette période de confinement où tout tourne au ralenti est l’occasion de reprendre contact avec certains amateurs qui nous avaient accordé un Grand Entretien. Interview confinée de Renaud Capuçon.
Sept ans ont passé depuis le Grand Entretien avec le violoniste Renaud Capuçon (ADC n°93), dans ce qui paraît aujourd’hui, à tort ou à raison, une autre époque. Le 2 avril dernier, au dix-huitième jour de confinement lié au Covid-19, nous lui avons posé quelques questions nouvelles par téléphone, l’intervieweur et l’interviewé étant comme il se doit confinés.
Son premier livre, Mouvement perpétuel (Flammarion), a été publié le 4 mars, treize jours avant la fermeture des librairies. C’est un livre de souvenirs. Renaud Capuçon a 44 ans, il joue bien, il va vite, et il a déjà plus de souvenirs que s’il avait mille ans.
Vos concerts et votre vie sociale sont brusquement suspendus. Comment vivez-vous cette période ?
Elle m’oblige à une introspection permanente, en sortant du mouvement perpétuel évoqué par mon livre. J’ai passé ma vie, ces vingt dernières années, à courir, sauf sur scène. Cette fois, la vie que je vis est en phase avec la musique je joue ; et, chaque nuit, je fais des cauchemars. Tous les concerts ont été annulés, pour l’instant, depuis le 4 mars jusqu’au 30 mai, soit environ une soixantaine, mais la scène ne me manque pas en tant que telle, en tout cas pas pour l’instant. Ce qui me manque, c’est de communiquer directement avec le public. Cependant, ces journées sans voyages, sans concert, n’ont rien d’ennuyeux. D’une part, nous les musiciens, nous avons passé tant d’heures seuls dans une pièce avec notre instrument, depuis notre enfance, qu’on ne vit probablement pas le confinement aussi mal que d’autres : j’ai mon violon avec moi. D’autre part, je n’ai pas un moment de libre. Depuis dix-huit jours, j’enregistre et distribue chaque jour sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, Twitter) une pièce différente, seul ou accompagné. J’ai chez moi une pile de partitions de petites pièces adaptées je crois, des pièces que j’aime et qui font du bien. Evidemment, je ne vais pas jouer le concerto de Beethoven ou de de Tchaikovsky. Ce matin, j’ai joué la Ronde des lutins, d’Antonio Bazzini. À 20 ans, c’était mon cheval de bataille. Je ne l’avais pas joué depuis. A l’époque, je n’aurais jamais osé faire ce que j’ai fait aujourd’hui : la remonter en 24 heures. Je viens aussi de jouer la Scène du jardin, de Korngold, une pièce que j’adore.
Renaud Capuçon en février 2013
Comment choisissez-vous les pièces que vous jouez et comment les enregistrez-vous ?
Je décide le soir, après avoir travaillé, et j’enregistre le matin, vers 10h, sur mon iPad monté sur un trépied foireux. Et, au moment où j’appuie sur envoi, j’ai l’impression de partager à un concert. Les jours où il n’a pas école à distance, Elliott, mon fils, tient l’iPad. Très franchement, ça m’aide énormément ; ça me fixe un cadre, sans quoi je serais sans doute très déprimé. Quand j’ai vu tous ces concerts annulés, j’ai d’abord et aussitôt pensé à jouer de la musique de chambre avec des potes à une fondation proche de chez moi, la fondation Singer Polignac, et puis le confinement est arrivé, il a donc fallu créer autre chose. Parfois, j’enregistre des pièces avec le pianiste Guillaume Bellom. On répète sur WhatsApp, puis il enregistre sa partie sur son iPhone et me l’envoie. Quand il y aura la 5G, nous pourrons enregistrer ensemble à distance, j’en suis sûr. J’enregistre aussi avec l’application Nomad Play : c’est un logiciel qui reproduit les instruments, voire l’orchestre, et vous pouvez enlever l’instrument dont vous jouez. Moi, j’enlève le violon. Je l’ai fait avec le concerto de Mendelssohn.
Et le reste de la journée ?
Je donne des cours à distance à mes élèves, par l’application Zoom. Les connexions ne sont pas idéales, mais il est important de les suivre, de les conseiller. On monte le Carnaval des animaux, de Saint-Saëns, pour le média en ligne Brut : 23 musiciens à distance ! Je m’occupe beaucoup de mon fils, qui pour une fois me voit tout le temps. Laurence (Ferrari, femme de Renaud Capuçon, ndlr) part travailler de 14H à 19H, avec l’inquiétude que vous pouvez imaginer, mais consciente de la mission d’informer. Je parle beaucoup avec des amis. Nous sommes tous inquiets, pour nos proches, pour nous-mêmes, pour l’avenir de tout. Je pense au moment où je pourrai de nouveau boire un café avec un copain, aller acheter le Canard enchaîné le mercredi au kiosque, trop loin de chez moi pour que j’y aille en ce moment. À tous ces gestes quotidiens, ces moments, auxquels on ne pense pas d’habitude, mais qui font nos vies.
Que lisez-vous ?
Je finis très lentement le dernier bouquin de Joël Dicker, L’Enigme de la chambre 622, et voilà ce qu’il y a sur ma table de nuit : Regards sur autrui, de Pierre Boulez ; les mémoires de Maria Callas ; des biographies de Keith Jarrett et de Yehudi Menuhin ; la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus, où je picore régulièrement. Mais je vous avoue que j’ai de la difficulté à lire, en ce moment. De même, si je joue beaucoup, j’écoute très peu de musique. Avec Laurence, on écoute simplement Bach. Il y a tous les autres, et puis il y a Bach. Il apporte la paix, le bien-être, comme nul autre.
Continuez-vous à fumer ?
Beaucoup moins qu’avant, mais, oui, je fume. En général, je fumais surtout l’été, si bien que, quand le confinement a commencé, j’avais chez moi une bonne réserve de cigares. J’en fume un tous les deux jours, parfois chaque jour, des Petits Coronas de H. Upmann. Hier, c’était le soir. Ce matin, c’était à 11h30, avant de donner un cours.
Propos recueillis par Philippe Lançon
Nous vous proposons également de relire le Grand Entretien que Renaud Capuçon nous avait accordé en février 2013 (ADC n°93) : Capuçon ADC n°93
Renaud Capuçon, Mouvement perpétuel (Flammarion, 239 p., 20 €).
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