Qui est le créateur de la marque Los Duenos ?
C’est en accompagnant des touristes en visite dans les manufactures dominicaines que Scander Chida s’est pris au jeu du cigare. Son parcours, marqué par les rencontres et d’heureux hasards, l’a conduit jusqu’à la fabrication de sa propre marque : Los Dueños.
Par Jean-Pascal Grosso
Il est des hommes qui semblent faits pour orner les pages publicitaires des magazines. De belles têtes qui passent bien. Scander Chida est de ces heureux-là. Et, mieux encore, l’homme de trente-six ans, Français né en Tunisie, a des choses à dire : le cigare tient, pour lui, de l’art de vivre. À tel point qu’il a créé sa propre marque, déjà plébiscitée sur le marché hexagonal, Los Dueños. « Mon premier cigare, se remémore-t-il, c’était à dix-huit ans. J’étais en mission en Turquie pour une entreprise de tourisme et un client m’en a offert un. Moi qui ne fumais pas de cigarette, ni de chicha, j’ai tout de suite apprécié. » Bien qu’il admette aujourd’hui avoir au début fumé des havanes un peu pour « rouler des mécaniques », Scander se prend rapidement au jeu et cherche à faire plus sérieusement ses humanités. Il se tourne donc d’abord côté cubain, avec des Romeo y Julieta, et plus particulièrement le Cedros de Luxe – « Pour sa douceur, son équilibre parfait… » – et le Churchill – son « péché mignon ». Mais la donne change en 2004, lors d’un voyage professionnel en République dominicaine : « Là, je découvre le terroir dominicain et j’apprends que le pays est le premier exportateur de cigares au monde. Moi qui ne jurais que par le cigare cubain, je me suis mis à rigoler. À tort. » Ce sera une véritable épiphanie.
Le goût des touristes…
À travailler dans le tourisme, du côté de Punta Cana, même loin de la sacro-sainte ville de Santiago de los Caballeros, haut lieu des tabacaleras dominicaines, Scander Chida se lie d’amitié avec les propriétaires d’une petite fabrique locale. C’est là qu’il fait son apprentissage, au milieu de nuées de vacanciers curieux de cet artisanat local exotique. Trois années passent ainsi et, en 2007, las de sa profession, il est encouragé par son entourage à se reconvertir dans le cigare et est promu au poste de directeur commercial de la petite entreprise cigarière. « Cette expérience avec les touristes a constitué, en vérité, la première étape de Los Dueños dans ma tête, explique-t-il. Je me retrouvais face à des gens venus de tous les horizons, qui avaient beaucoup de préjugés sur les cigares – préjugés que je faisais tomber à la première dégustation. Cela m’a permis de me faire une idée des goûts et ses attentes des fumeurs néophytes. »
Si Scander Chida croit en une chose, c’est au destin : « Dans ce milieu, vous rencontrez une première personne qui vous en présente par hasard une autre et cela finit par faire une boucle qui donne Los Dueños. » Quand il se brouille avec la fabrique pour laquelle il officiait pour « incompatibilité stratégique », il songe à jeter l’éponge et à partir vers de nouvelles aventures. Mais là encore, ses amis, des aficionados eux aussi, lui font garder le cap : « Tu en connais maintenant assez, crée ta propre marque ! » Nous sommes en 2015. Los Dueños voit le jour grâce à l’alliance entre Scander Chida et Nadja Massinot, une Française consultante en image de marque, fumeuse de cigares également, partie aujourd’hui travailler aux États-Unis dans un autre secteur. « Tout s’est joué très vite : fabrication, lancement… En un an, nous étions sur le marché local et à l’exportation. Connaître les bonnes personnes, les croiser au bon moment, c’est le destin, toujours ! » souligne le jeune patron dont la création prend son envol dès mars 2016.
Le coup de la panne
Distribués en France par Eurotab, les cigares Los Dueños (« Je voulais un nom en espagnol, court, avec une belle intonation ») sont fabriqués à Santiago de los Caballeros. Là encore, le hasard, beau joueur, y est allé de son grain de sel. Bredouille au bout de deux jours de visites de fabriques dans cette ville qui en compte tant (Davidoff, Quesada, etc.), Scander décide de reprendre la route… mais crève un pneu en chemin ! Forcé de patienter dans un garage, il allume un cigare pour se détendre. À côté de lui, un autre homme est en train de fumer. « Je lui raconte ma mésaventure et il me dit qu’il travaille pour Intercigar, une tabacalera installée dans la zone franche de La Palma, à Santiago. » Le lendemain, il rencontre le PDG hollandais d’Intercigar qui accepte de faire confiance au garçon obstiné. « Il a compris ce que je voulais : un cigare “rassembleur”, “réconciliateur”, comme je dis toujours, équilibré, qui, de par sa construction et son goût, vise les débutants et les déçus du cigare. Nous nous adressons avant tout à une nouvelle génération de fumeurs. Il y a quelque chose à faire avec elle. Los Dueños, je ne l’ai pas créé que pour moi. » Conscient de l’évolution plus que positive du cigare dominicain en une décennie et, surtout, de la force de frappe de l’île sur le marché international, Scander y cherche méticuleusement le blend idéal : « Je voulais un cigare avec une excellent tirage, une fumée dense et blanche et une cendre compacte », détaille-t-il.
Hommes, femmes, mode d’emploi
Hecho a mano, le cigare Los Dueños fait ses premiers pas avec une cape Connecticut : « C’est une cape que j’aime beaucoup, qui se consume très bien dans la région latino-américaine, mais qui voyage mal », a-t-il pu constater – on y reviendra. Chez Los Dueños, les cigares sont testés par deux groupes : l’un masculin, l’autre féminin. Une exigence du jeune boss. « Les femmes ont une façon de fumer que les hommes, à mes yeux, n’ont pas, insiste Scander Chida. Elles prennent le temps de déguster. Je le dis et j’assume : elles fument mieux que tous les hommes amateurs que j’ai pu croiser dans ma vie. » Mais il y a Le Cénacle, le club d’aficionados de la prestigieuse Essec, instrument du destin qui permettra à Los Dueños de devenir ce qu’il est aujourd’hui. Malgré un rapport quasi parfait, les fumeurs du club se plaignent de l’amertume des toutes premières vitoles – celles à cape Connecticut. Piqué au vif, Scander prend, sitôt ce rapport reçu, le premier vol pour la France afin de rencontrer ses juges. Il allume alors un de ses cigares, et là : « Je découvre que la cape, au bout du voyage, s’est transformée. L’amertume est bien présente ! » Retour fissa à lntercigar pour un changement de recette : le tabac Connecticut est remplacé par un Habano 2000 issu de graines cubaines poussant en Équateur. « Ce petit changement, finalement, je l’ai trouvé parfait », sourit-il. Beau joueur, il rendra plus tard hommage à cet opportun coup de pouce estudiantin en créant un cigare baptisé Le Cénacle, un imposant 70 × 7 !
Lancée sur le marché français, produite à 12 000 unités par an, la marque Los Dueños avance lentement mais sûrement : « Lors de mon premier salon InterTabac, à Dortmund, j’ai rencontré Litto Gómez, Arturo Fuente, Ricky Patel, et je n’ai entendu que des encouragements. Il y a de la place pour tout le monde sur le marché du cigare et beaucoup de respect entre les différents acteurs. Aujourd’hui, j’aime cette industrie plus que jamais. » Adoubé par de tels maîtres, riche d’un maduro nouvellement lancé et qui connaît un franc succès répercuté par un enthousiasme généralisé sur les réseaux sociaux, Scander Chida est bien décidé à garder le cap et à nourrir sa passion, en partant à la conquête de nouveaux territoires : le Luxembourg, la Suisse, le Danemark, la Belgique… Il clôt la rencontre sur une anecdote non exempte de fierté : « Cerise sur le gâteau, les vitoles Los Dueños sont désormais en vente au Drugstore, sur les Champs-Élysées. Ça, j’adore ! » Pour ce nouveau venu dans le milieu du cigare, toute une histoire reste à écrire mais elle démarre déjà sous les meilleurs auspices.
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