Outre-mer, un autre monde
Ce sont en tout 2,2 millions de français qui vivent dans ces collectivités très éloignées de la métropole. Très éloignées géographiquement mais aussi en termes de culture du cigare et de réglementation. Des marques différentes y sont représentées, la législation y est souvent plus permissive, mais les prix y sont aussi, la plupart du temps, encore plus élevés que dans l’hexagone. Que fument les ultra-marins ? Panorama d’ouest en est.
SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON
Population : 6000 habitants
Superficie : 242 km2
« On est loin des grandes années où il y avait de beaucoup d’activité dans le port, avec les chalutiers espagnols et portugais dont les marins étaient amateurs de cigares et de cigarillos, raconte Alain Siosse, du Comptoir d’importation des alcools (CIA) de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le moratoire sur la pêche à la morue le long de la côte est du Canada, en 1992, a mis fin à tout cela. »
A cette époque, il y avait plusieurs points de vente de cigares dans l’archipel. Aujourd’hui, le CIA, qui détient une licence d’importation de tabac et d’alcool délivrée par les autorités locales, possède la dernière boutique de cigares, avec deux humidors d’une capacité d’environ 50 boîtes au total. Et depuis la crise de la Covid et la raréfaction des touristes, il a carrément cessé d’importer des cigares – il se fournissait auprès de Havana House, importateur exclusif des havanes au Canada. « Il nous reste une dizaine de boîtes et après c’est fini », déplore Alain Siosse. La clientèle touristique, qui commence à revenir, est essentiellement canadienne. Or, à son retour au Canada, celle-ci est fortement taxée, ce qui ne rend pas les achats à Saint-Pierre intéressants. La petite clientèle originaire des Etats-Unis est, elle, découragée par le « paquet neutre » imposé sur toutes les boîtes en provenance du Canada. Et dans un si petit territoire, la clientèle locale est pratiquement inexistante.
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MARTINIQUE
Population : 364 000 habitants (2019)
Superficie : 1128 km2
GUADELOUPE
Population : 384 000 habitants (2019)
Superficie : 1628 km2
GUYANE
Population : 280 000 habitants (2019)
Superficie : 83 846 km2
Vu de métropole, le plus surprenant en Martinique et en Guadeloupe, c’est le caractère très libéral du marché – nonobstant la forte taxation qui y rend les cigares particulièrement chers. Contrairement à ce qui prévaut dans l’hexagone, l’importation et la distribution de produits du tabac n’y sont soumis à aucune autorisation ou licence douanière, pourvu que les produits soient dûment dédouanés à leur arrivée sur le territoire. De même, une fois les droits et taxes acquittés, les prix sont libres. Il n’est pas non plus nécessaire de faire préalablement inscrire les cigares sur une quelconque liste visée par les autorités comme c’est le cas en métropole avec le Journal Officiel.
En Martinique, deux importateurs se partagent le marché du cigare. D’un côté, Roger Albert Distribution, qui a longtemps régné en maître et qui se fournit auprès de Caribbean Cigar Corp., l’importateur officiel des havanes pour les Caraïbes. Et de l’autre, le groupe de Frédéric et Corinne d’Orazio. Pour les havanes, ce dernier se fournit auprès d’autres sources qu’il n’a pas souhaité nous dévoiler ; il distribue également d’autres marques (Ashton, La Aurora…) auprès des revendeurs locaux et de ses propres boutiques regroupées sous l’enseigne Saturne (trois en Martinique et une en Guadeloupe). Les marques Arturo Fuente et Oliva sont également présentes, via d’autres importateurs, même si « le marché est à 60 ou 70 % dominé par les havanes » estime Frédéric d’Orazio.
Comme dans tous les départements, territoires et collectivités d’outre-mer, le régime de taxation (octroi de mer, taxes spécifiques sur le tabac, TVA…) est prohibitif. Les prix sont libres mais, par conséquent, élevés : dans les boutiques Saturne, le Partagás D4 s’affiche par exemple à 27 €.
En Guyane, le cigare est pratiquement inexistant. La cave à vin Nicolas de Cayenne qui fait office de grossiste pour des revendeurs locaux n’importe que des Guantanamera et des cigares faits machine.
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SAINT-MARTIN – SAINT-BARTH
Saint-Martin
Population : 35 000 habitants
Superficie : 95 km2
Saint-Barthélemy
Population : 10 000 habitants
Superficie : 21 km2
Autrefois rattachées administrativement à la Guadeloupe, les deux îles s’en sont séparées pour constituer des collectivités indépendantes. En vertu de leur forte attractivité touristique – notamment auprès de la clientèle en provenance des Etats-Unis – et d’un régime juridique moins contraignant qu’en métropole, ce sont les deux seuls territoires français où l’on trouve des Casas del Habano (voir L’ADC, n° 149). Elles se fournissent auprès de l’importateur exclusif de la région, Caribbean Cigar Corp.
Saint-Martin abrite aussi le plus ancien torcedor en activité en France. Gérard Gorlier, 92 ans, surnommé Don G roule des cigares depuis une trentaine d’années dans sa boutique de Marigot avec des tabacs d’Equateur, d’Indonésie et de République dominicaine qu’il achète à un grossiste en République dominicaine (voir L’ADC, n° 149).
En dehors des deux LCDH, attention aux contrefaçons qui sont nombreuses dans ces îles très fréquentées par les touristes américains.
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MAYOTTE
Population : 279 500 habitants (2020)
Superficie : 376 km2
Le seul point de vente de l’archipel de l’océan Indien est la boutique duty free de l’aéroport international de Dzaoudzi. Et encore, celle-ci ne propose que quelques cigarillos : Neos, Meharis, J. Cortès et des Shorts de Cohiba (80 € la boîte de 50). La marque Guantanamera est également représentée. La boutique se fournit auprès d’un grossiste réunionnais. Mais le point de vente ne disposant pas de cave humidifiée, on n’y trouve aucun cigare fait main.
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LA REUNION
Population : 860 000 habitants (2019)
2515 km2
Sur le plan réglementaire, le marché du cigare sur l’île de la Réunion ressemble à celui de la Guadeloupe et de la Martinique. L’importation et la distribution sont libres… mais les taxes élevées. Dans la plus peuplée des collectivités ultramarines, on dénombre huit à dix gros points de vente, auxquels s’ajoutent des restaurants, des hôtels, épiceries fines et cavistes qui disposent d’une petite cave ou d’une petite vitrine humidifiée. Comme les amateurs non plus ne sont pas toujours équipés pour conserver leurs vitoles, il y a beaucoup d’achats au coup par coup et peu de consommation « à la boîte ».
Sans entrer dans le détail du système complexe de taxes imposées aux produits du tabac, on peut dire que les prix des grandes marques représentées sur le territoire (Habanos, Davidoff…) sont grosso modo le double de qui se pratique en métropole : le Davidoff Aniversario Special R s’affiche ainsi à 38 € (22 € en métropole) et le Trinidad Vigia à 88 € (49 € en métropole). Mais une partie des taxes étant calculée sur la base du prix des cigares en métropole, il est intéressant pour les importateurs de commercialiser dans l’île des références absentes de l’hexagone. Ainsi Jérôme Monetti et Sabrina Fontaine, qui importent les cigares Davidoff dans l’île, ont-ils choisi de distribuer aussi les cigares Bongani, fabriqués au Mozambique (voir L’ADC, n° 142). « Ça nous permet aussi de jouer sur les racines africaines de l’île », explique Jérôme Monetti.
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NOUVELLE-CALÉDONIE
Population : 271 000 habitants
Superficie : 18 519 km2
Même si une réglementation anti-tabac locale semblable à celle de la métropole est entrée en vigueur en 2013 et même si la météo est rarement un problème, en Nouvelle-Calédonie, on fume encore parfois dans les bars et restaurants. C’est l’une des nombreuses spécificités de cette « collectivité d’outre-mer à statut particulier ». Contrairement à la situation aux Antilles ou à la Réunion, l’importation et la vente en gros sont ici régis par un monopole. La Régie locale des tabacs, émanation du Gouvernement néo-calédonien, fixe par arrêté la liste des références disponibles et leur prix de vente public. Un importateur privé, la société Pentecost, travaille sous appel d’offre en tant qu’opérateur pour la Régie.
Dans la liste publiée au Journal Officiel de la Nouvelle-Calédonie, figurent une trentaine de références de cigares faits main, uniquement des standards du catalogue Habanos (Cohiba Robustos, Montecristo N° 4, Partagas E2 et Mille Fleurs – mais étrangement pas le D4 -, Romeo y Julieta Churchills, Quintero Favoritos…) ainsi que quelques faits machine (Cusano, cigarillos Davidoff, Guantanamera…). « Le marché est à 90 % cubain », confirme Philippe Busson, président du Cercle calédonien du havane, l’un des principaux clubs de l’archipel. Les havanes sont achetés par l’importateur auprès de Pacific Cigar Company.
On trouve les cigares dans des bureaux de tabac ressemblant aux civettes de métropole, mais aussi dans ce que les locaux appellent des « bottle shops », autrement dit des cavistes qui vendent des vins et spiritueux. La scène cigare est logiquement concentrée à Nouméa, où l’on dénombre au total une trentaine de points de vente.
Mais les néo-calédoniens peuvent contourner le choix restreint et les prix élevés compte tenu des taxes (le Partagás Mille Fleurs coûte environ 15 €, contre 6,50 € en métropole) grâce à une franchise douanière de 50 cigares par personne et par an lorsqu’ils voyagent – franchise à laquelle s’ajoute la possibilité d’acheter jusqu’à 5 kg de tabac par internet (les sites suisses ou allemands ont la côte parmi les amateurs) moyennant l’acquittement de « droits de douane » de 20 % du prix d’achat auprès des autorités locales. « Beaucoup de néo-calédoniens voyagent en métropole et utilisent l’achat par anticipation proposé par les boutiques de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle », détaille encore Philippe Busson dont le club compte une quarantaine de membres actifs mais réunit chaque année, pour sa soirée de gala, environ 200 personnes.
A Wallis-et-Futuna (12 000 habitants, 274 km2) le marché est inexistant. Aucune boutique ne propose de cigares.
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POLYNÉSIE FRANÇAISE
Population : 275 000 habitants (2017)
Superficie : 4167 km2
Comme beaucoup d’amateurs ultra-marins, les polynésiens, rebutés par des prix exorbitants, profitent de leurs voyages en dehors du territoire pour s’approvisionner en cigares. La franchise douanière leur permet de rapporter librement 50 cigares. C’est d’ailleurs le mode de fonctionnement qu’a adopté le Tahiti Cigare Club, le principal club de Polynésie, qui compte une quarantaine de cotisants et qui est présidé par Taimana Ellacott : chaque membre qui voyage par-delà le Pacifique s’engage à réserver 25 cigares qui seront redistribués lors des soirées du club.
Il y a 25 points de vente de cigares en Polynésie. « Il n’y a pas de bureaux de tabac ici, détaille Emmanuel Passevent, directeur commercial d’Imporlux, l’importateur local des havanes et de Davidoff – qui possède aussi la boutique duty free de l’aéroport international de Papeete. Les cigarettes sont vendues dans les stations-services, hypers et supermarchés, magasins d’alimentation… Et pour ce qui est des cigares, ils sont vendus essentiellement dans les hôtels, cafés, restaurants et caves à vins ». Ici aussi, les prix sont libres, mais comme dans tous les outre-mer, les superpositions de taxes nationales et locales rendent les cigares particulièrement onéreux. Le Partagás D4 s’affiche à plus de 30 euros, selon l’importateur qui assure appliquer les prix recommandés par son fournisseur, Pacific Cigar Company.
Dans un paysage largement dominé par les havanes, quelques entrepreneurs commencent à essayer d’importer des cigares d’autres terroirs, parmi lesquels la marque Horacio.
En 2009, la Polynésie s’est dotée d’une « loi de Pays » interdisant de fumer dans les lieux publics ainsi que toute forme de publicité sur le tabac. C’est suffisamment rare dans les outre-mer pour mériter d’être signalé : il existe un fumoir, situé dans le restaurant Le Mandarin à Papeete.
Enquête : Laurent Mimouni
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