Peut-on accorder vin et cigare ?
Il n’est pas toujours évident de choisir un vin pour accompagner son cigare. Il s’agit pourtant d’un mariage heureux lorsque l’on respecte le protocole…
Bernard Burtschy
Vins rouges et cigares sont-ils des frères ennemis ? Frères, ils le sont assurément: tant de choses les rassemblent, comme la fermentation ou la terrible barrière qu’il faut franchir pour y accéder – personne n’aime d’emblée un verre de vin rouge et tout débutant commence par grimacer avec son premier cigare. Cette barrière d’entrée prend la forme, pour l’un comme pour l’autre, d’une impression brutale de dessèchement de la bouche dès la première bouffée ou la première gorgée. L’explication ? Pour le cigare, la fumée consume les huiles essentielles et les sucres stockés dans la feuille, ce qui a pour effet de détruire les protéines de la salive et de laisser les papilles à nu devant l’agresseur, ce qui est très désagréable de prime abord. Certains ne dépasseront jamais ce cap. Pour calmer cette sensation de dessiccation, surtout sensible pour les débutants, il est conseillé de boire de l’eau – qui est parfaitement neutre – ou un thé léger.
Étrangement, la dégustation d’un vin rouge jeune engendre le même effet. Contrairement au vin blanc qui résulte de la fermentation directe d’un jus de raisin blanc, le vin rouge est obtenu par macération des pellicules et des pépins avec le jus de raisin. Outre la couleur, cette macération extrait une substance nommée « tannin » qui est chimiquement un polyphénol. Or les polyphénols, accessoirement bons pour la santé en quantités modérées, ont pour caractéristique de casser les molécules de gras, et en particulier les protéines de la salive qui protègent les papilles. D’où l’agressivité d’un vin rouge jeune. Les tannins sont d’ailleurs présents également dans la feuille de tabac. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
L’association d’un cigare et d’un vin rouge n’est donc pas forcément une bonne idée. Mais d’autres stratégies existent. Comme il n’est guère possible de limiter l’agressivité naturelle du cigare, il faut agir sur la boisson qui, seule, peut calmer sa charge belliqueuse, voire parfois guerrière.
Calmer le jeu en optant pour le sucre
Première règle, quelle que soit la boisson, il faut harmoniser les puissances, comme dans les combats de boxe – un poids coq ne se bat pas contre un poids lourd. Plus que de puissance aromatique, nous parlons ici de la puissance gustative, dont le taux de nicotine est le premier paramètre. Autre stratégie : enrober la charge tannique de l’agresseur en le couvrant de sucre, car le sucre est un excellent anesthésiant des papilles. Un vin liquoreux comme un sauternes ou un barsac fera l’affaire. En haussant le ton, un vin muté, comme un banyuls, un maury, voire un porto plus alcoolisé, pansera efficacement la plaie. Mais attention, ces vins sont relativement puissants et ils noieront vite un cigare trop frêle : réservez-les aux cigares qui ont du coffre. Mais globalement, il faut se méfier du sucre qui a qui a de plus en plus mauvaise presse et a vite fait d’empâter le palais.
Pour ceux qui ne l’aiment pas trop, un moyen détourné est de distraire la charge agressive par l’alcool. L’alcool existe sous deux formes : la version fermentée, la plus douce, et la variante distillée, la plus percutante. L’alliance d’un cigare avec un spiritueux, que beaucoup considèrent comme naturelle, n’est pas triviale et mériterait un chapitre entier pour ne pas sombrer dans un sordide pugilat. Plus subtile, la version fermentée, si elle demande plus de doigté, est plus harmonieuse.
Il y a tannins et tannins…
Dans sa version fermentée, l’alcool qui culmine à 15 degrés possède une saveur douce et suave, contrairement aux spiritueux beaucoup plus pugnaces. Dans un vin, il équilibre les deux agresseurs, l’acidité et les tannins, avec toutes les variantes de l’équilibre. Face à un cigare naturellement agressif, mieux vaut choisir des vins avec plus d’alcool et moins d’acidité et de tannins.
La solution extrême est de privilégier les vins blancs qui, par définition n’ont pas ou peu de tannins. Ils apporteront dans l’alliance une vision plus fraîche ou plus moelleuse selon la maturité du raisin. L’accord fonctionne bien, mais il manque souvent de puissance et est plutôt destiné aux cigares légers.
Par ses tannins, le vin rouge apporte la puissance nécessaire pour aborder des modules plus conséquents. Mais attention, il y a tannins et tannins. Un vin trop tannique ou aux tannins trop rustiques ou anguleux ne ferait qu’attiser le feu dans le palais. Il faut donc aller vers un vin rouge relativement alcoolisé, aux tannins soyeux et à l’acidité plutôt faible.
Où en trouver ? Deux cépages répondent bien à ces critères, le merlot et le grenache. L’un fait le bonheur de Saint-Émilion et de Pomerol, l’autre trouve son expression la plus aboutie à Châteauneuf-du-Pape, mais il existe d’autres variantes. Le pinot noir, à l’origine des grands bourgognes, manque souvent de puissance, même si dans la côte de Nuits, il s’en sort bien, tout comme le gamay dans les crus puissants du Beaujolais à condition qu’il soit vinifié à la bourguignonne, comme autrefois. Dernier axe, le syrah sur les terroirs acides comme dans les appellations hermitage ou côte-rôtie. Tous ces grands terroirs à vins rouges donnent de surcroît des tannins fins et soyeux.
Pour paraphraser l’écrivain anglais Oscar Wilde, « quelque grief qu’on ait contre le mariage, on ne saurait lui refuser d’être une expérience », et cela vaut pour le mariage entre vin rouge et cigare.
5 rouges pour mon cigare !
Accompagner un cigare avec un vin rouge ? Pas simple, mais pas impossible, loin de là ! L’accord parfait n’existe pas, il dépend de trop de choses, y compris de son humeur. En revanche, on peut imaginer des accords très subtils, en particulier pour le fumeur débutant ou occasionnel qui a besoin de calmer le feu en bouche dû à l’agressivité naturelle de la fumée. Les amateurs confirmés y trouveront aussi un intérêt, car la dégustation d’un vin rouge permet de faire apparaître les mille et une facettes d’un cigare, parfois mieux qu’un alcool plus agressif.
Château Ventenac, Cuvée de Pierre, IGP Pays d’Oc, 2018
Point n’est besoin de disposer de fortunes pour accompagner un bon cigare. Élaborée sur le terroir de Cabardès, situé dans le Languedoc à la frontière entre les influences méditerranéenne et atlantique, cette cuvée a choisi délibérément la fraîcheur en privilégiant les cépages atlantiques, ce qui lui interdit d’utiliser l’appellation cabardès. 100 % de cabernet sauvignon, des levures indigènes et une vinification sans soufre, ce vin fait souffler une brise aérienne en nettoyant les papilles. Réservez-le à un cigare doux ou doux-moyen.
6,90 €
Maison Ventenac, 4, rue des Jardins, 11610 Ventenac-Cabardès. Tél. : 04 68 24 93 42
Clos de Mez, Château Gaillard, Morgon, 2015
Avec le succès puis la déliquescence du beaujolais nouveau, les crus du Beaujolais, autrefois plus chers que les meilleurs crus de la Bourgogne, ont terriblement baissé en notoriété comme en qualité. Marie-Élodie Zighera-Confuron est une des rares à maintenir le cap des grands morgons avec un vin dense, serré, élaboré comme les plus grands, capable de vieillir des décennies. Sa puissance et sa rigueur tiendront tête aux plus grands modules à un prix cinq fois moindre qu’un grand gevrey-chambertin. Et vous pourrez le garder vingt ou trente ans.
22 €
Marie-Élodie Zighera-Confuron, Les Raclets, 69820 Fleurie. Tél. : 06 03 35 71 89, closdemez.com
Château Fleur de Lisse, Saint-Émilion Grand Cru, 2016
Le vaste terroir de Saint-Émilion engendre des styles fort différents. Cette cuvée est élaborée à Saint-Étienne-de-Lisse, d’où son nom, en pied de côtes avec un vignoble mené en biodynamie. Avec les conseils de Jean-Claude Berrouet qui a vinifié plus de quarante millésimes de Petrus, Nicolas Géré élabore avec un soin méticuleux un des saint-émilion les plus équilibrés, moitié merlot et moitié cabernet en gros. Avec la fougue de sa jeunesse, il sera parfait avec un module de bonne corpulence.
30 €
Château L’Étampe, Clos Petit Montlabert, 33330 Saint-Émilion. Tél. : 06 70 10 10 71
Château Bourgneuf, Pomerol, 2011
Le Château Bourgneuf est mitoyen du célèbre Château Trotanoy, le seul vrai rival de Petrus, d’autant que la famille Vayron veille sur lui avec un soin jaloux. Sur son terroir de graves sur argile, les merlots développent une puissance peu commune, à peine tempérée par un peu de cabernet franc, et il vieillit à merveille. Dans un millésime jeune comme le 2011, il tient crânement tête à un cigare moyen-fort et même fort. Avec une bouteille d’une quinzaine d’années d’âge, voire plus, l’accord sera très consensuel.
36 € (sur chateaunet.com)
Château Bourgneuf, 1, chemin de Bourgneuf, 33500 Pomerol. Tél. : 05 57 51 42 03
Hermitage rouge Gambert de Loche, Cave de Tain, 2015
Louis Gambert de Loche, président et fondateur de la cave de Tain-l’Hermitage, lui a offert à son décès son domaine constitué des plus belles parcelles de l’appellation. Revenue en grande forme depuis 2010 pour se positionner parmi les meilleures de France, la cave a élaboré un petit bijou de concentration et de velouté. On comprend mieux pourquoi un hermitage valait plus cher au xixe siècle qu’un premier cru classé de Bordeaux. Par son moelleux et sa richesse, il enrobera un grand module.
115 €
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