L’interdiction de fumer dans les jardins et sur les plages est-elle légale ?
Une nouvelle restriction s’est récemment ajoutée à la liste déjà longue des interdictions opposées aux fumeurs de cigares : celle de fumer dans les parcs et jardins publics. Certaines plages sont aussi concernées. Est-ce légal ?
Par Me Michaël Grienenberger-Fass, avocat au barreau de Paris (MGF.avocat@gmail.com)
ll n’existe pas, en droit français, d’interdiction générale et absolue de fumer dans les parcs et jardins publics et sur les plages appartenant au domaine public. Le législateur avait même, lors des débats qui se sont tenus en 2006 préalablement à la réforme de la loi du 10 janvier 1991, dite loi Évin, clairement opté pour le refus d’une interdiction générale.
Le rapport de la mission d’évaluation de la loi Évin avait rappelé que « la réglementation en vigueur ne prévoit que deux cas dans lesquels il est interdit de fumer dans des lieux ouverts affectés à un usage collectif : les cours de lycées, collèges et écoles ainsi que les quais de gare ». La mission avait écarté un éventuel élargissement du périmètre des lieux ouverts concernés par une interdiction de fumer, en estimant que « le principe de réalité et la nécessaire préservation d’espaces de liberté pour les fumeurs conduisent à ne pas étendre l’interdiction de fumer dans les lieux dits ouverts au-delà des deux cas […] déjà visés par la réglementation actuelle ».
Ce choix délibéré du législateur français doit être rappelé pour ce qu’il signifiait quant à la volonté de préserver quelques espaces de liberté pour les fumeurs. Pourtant, depuis 2006, ce choix a été mis en échec par des réglementations locales restrictives.
Des interdictions à géométrie variable
La loi étant muette, il appartient à l’échelon juridiquement inférieur de décider. Ce sont les municipalités qui s’y attellent, depuis peu et de manière exponentielle.
Première conséquence inévitable : les fumeurs ne sont d’évidence pas égaux en droits selon qu’ils sont parisiens – où les interdictions font florès – ou citoyens de petites villes de province – la plupart du temps épargnées. Depuis le 8 juin 2019, 52 jardins et parcs publics des 162 que compte Paris sont concernés. À Strasbourg, la mesure concerne tous les parcs et jardins depuis juin 2018. À Lyon, l’interdiction est expérimentale pour une durée de trois ans depuis le début 2020 et ne concerne qu’un parc. Il est interdit de fumer sur trois des vingt et une plages qui bordent Marseille.
En outre, cette multiplication des réglementations punitives locales conduit à un résultat allant à l’encontre de la position du législateur de 2006. Instaurer par des arrêtés municipaux ce que le législateur n’a pas voulu décider n’atténue pas les restrictions des libertés et des droits des fumeurs. Le résultat est le même : les fumeurs doivent s’abstenir sous peine d’être verbalisés.
Quant à la légalité des arrêtés en cause, elle semble acquise sur le principe, bien qu’il soit nécessaire de nuancer. Si, aux termes de l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire dispose d’un pouvoir de police administrative générale qui l’autorise à réglementer l’usage des parcs et jardins et, en zone côtière ou lacustre, les plages, cette possibilité n’est pas sans limites. En effet, des circonstances de temps et de lieu doivent nécessairement justifier les interdictions et cette motivation circonstanciée doit figurer dans le texte même de l’arrêté. Les mesures prises doivent donc être adaptées, proportionnées et nécessaires. Le juge administratif sanctionne le cas échéant, selon une jurisprudence aussi ancienne que classique (CE, 19 mai 1933, Benjamin, req. n° 17413), les mesures qui ne répondent pas à ces exigences.
On est donc en droit de s’interroger sur la légalité d’une interdiction concernant indistinctement la totalité d’un espace ouvert à l’air libre présentant presque toujours un large espace de circulation. Ne serait-il pas plus conforme à l’esprit de la jurisprudence de limiter l’interdiction de fumer aux espaces les plus fréquentés ou les plus exigus ? C’est d’ailleurs la philosophie qui animait initialement la plupart des règlementations locales, qui limitaient, dans les parcs et jardins, l’interdiction aux seuls espaces et aires de jeux pour enfants.
Autrement dit, la jurisprudence relative à la protection des libertés individuelles pouvant être présentée comme stricte, le doute sur la légalité d’arrêtés municipaux excessifs, par leur champ d’application trop ambitieux, est donc permis.
Des sanctions mal définies et disparates
Quoi qu’il en soit, le non-respect de l’interdiction soumet les fumeurs à une éventuelle contravention.
Deux constats peuvent être avancés à cet égard. D’une part, il est malaisé d’avoir accès à l’information relative aux conséquences encourues par les fumeurs récalcitrants – ou simplement distraits. C’est un premier motif devant inviter les municipalités concernées à de plus grandes préventions : interdire de fumer dans un parc est une chose, ne pas prendre le soin d’informer, par voie d’affichage par exemple, les contrevenants des sanctions encourues en est une autre.
Autre constat fâcheux : le fumeur comprend mal ce qui justifie que son non-respect de l’interdiction le conduise à écoper d’une amende de 38 euros à Paris, là où il ne semble encourir qu’un simple avertissement à Lyon.
En somme, mégoter sur les droits des fumeurs à l’air libre ne devrait pas conduire à les enfumer juridiquement.
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