Les accords d’Alain Dutournier
Alain Dutournier, le chef de la prochaine Nuit de L’Amateur de Cigare, est un fin connaisseur du cigare, comme nous avons pu le constater lors d’un déjeuner animé au Carré des Feuillants, il y a quelques jours. Service !
Ce jour d’avril, il rentre de Séville et reçoit le gratin du Bordelais, qui a invité quelques journalistes, soit quarante personnes et autant de fines gueules qui peuvent vite tourner mauvaises langues. Dans la salle voisine sont attablés les clients habituels, parmi lesquels Me Soulez Larivière. En cuisine, les asperges mijotent au court-bouillon, sans se douter de rien. Ce sont les premières, arrivées du Vaucluse avec les petits pois, tout juste ce matin. Un fumé de turbot frétille dans la poêle à côté. Laurent, le bras droit du chef, le sonde avec une aiguille piquée sur un bouchon qu’il porte à ses lèvres. Vieux truc de cuisinier pour vérifier la cuisson et la température.
« On travaille à l’ancienne, sourit Alain Dutournier, mais je dois commander des thermomètres, et des précelles », ces pinces de joaillier devenues courantes pour dresser les assiettes. Les minuteurs digitaux sont déjà présents, ainsi que les tatouages sur les bras des commis, aujourd’hui inévitables. Ils sont quinze au total en cuisine. Les fourneaux dégagent une chaleur intense, mais trois marches plus bas, la partie froide s’affaire autour d’un saumon d’Écosse poudré d’épices. Quarante entrées à envoyer en même temps, il ne faut pas traîner.
À la fin du service, le chef dénoue son tablier blanc et le replie soigneusement, comme le ferait de sa cape un torero, avant de pénétrer dans le patio du restaurant, où l’attendent quelques clients. « Vous nous avez régalé… » « Merci, chef ! » C’est le tour d’honneur du maestro. Alors, Alain Dutournier raconte le coq ivre de pommard de Claude Peyrot, son lièvre à la royale au sauternes, ses voyages, la baie d’Halong ou Valparaiso, l’opéra, les peintres dont il aime s’entourer, et la photo. « Tout cela se résume en un mot, conclut-il, l’émotion. Et le plus beau compliment que l’on puisse faire à un restaurant, c’est d’y revenir. » Il est temps de parler cigares.
Trois cigares par jour à Séville
« Le cigare, c’est de l’art de vivre, plus que de la gastronomie. Pendant la feria de Séville, j’en fume trois par jour, mais le reste du temps, je ne dépasse pas deux par semaine. Mon moment favori, c’est onze heures du matin, avec un café, un sauternes ou un vieux jurançon. Je suis dans une période Wide Churchills de Romeo y Julieta depuis trois ans : tirage parfait, bonne longueur (130 mm)… Parfois je passe au Short, mais après avoir essayé mille fantaisies, c’est le Wide que je préfère. Ah ! si ! j’aime bien aussi les Perlas de Rafael González (102 mm). Cela me change des Montecristo A, qui ont disparu et que je garde depuis quinze ou vingt ans dans les Landes. Bolivar, Partagas, je dois en avoir pas loin de mille… »
L’homme, qui est allé une fois à Cuba rencontrer Alejandro Robaina, continue : « Les vieux havanes ont des arômes plus élégants et une complexité aromatique équivalente à celle des grands vins. J’ai aussi goûté aux tabacs du Honduras et du Nicaragua, mais ce n’est pas pareil. J’ai même été à Saint-Domingue pour tenter de comprendre ce qu’ils font, mais rien ne vaut cette foutue Vuelta Abajo ! » Et de dire, pas bêcheur : « Je ne suis pas assez connaisseur pour apprécier les Behike de Cohiba. Quand j’ai envie de fumer fort, je prends un Double Coronas de Punch ou un Gigantes de Ramon Allones, que je partage avec des amis. Mais sans jamais parler cigares : on parle de taureaux ou de rugby, et cela peut durer toute la nuit. »
Le tout accompagné d’un Anis del Mono, avec de la glace et sans eau. « Ou un daïquiri, mais pas de mojito – il y a trop d’eau. Le cognac va bien également, mais j’ai tendance à préférer l’armagnac, une boisson de gentilhomme. »
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