Le marché chinois en hausse de 700 % en dix ans
L’empire du Milieu est désormais le deuxième marché mondial du havane, devant la France. En plein boom, il ne ressemble en rien à ce que l’on connaît en Occident…
par Laurent Mimouni
L’importance du marché chinois s’est matérialisée comme jamais cette année à l’occasion des deux grands festivals consacrés au cigare : le Festival del Habano (Cuba) et ProCigar (République dominicaine). Tandis qu’à La Havane Habanos annonçait que la Chine était désormais le deuxième marché mondial du havane, derrière l’Espagne et devant la France, on comptait à Santiago beaucoup plus de visiteurs originaires de Chine que par le passé : il y avait cette année vingt-six festivaliers de nationalité chinoise pour la grand-messe du cigare dominicain, soit 7 % du nombre total de participants, alors qu’ils étaient quatre fois moins nombreux en 2017 et en 2018, et totalement absents il y a encore cinq ans.
Avec des ventes en hausse de 700 % entre 2005 et 2014 selon le magazine professionnel chinois Cigar Ambassador, ce marché a explosé ces dernières années, même s’il faut toujours garder à l’esprit que le nombre de cigares vendus par rapport au nombre total d’habitants reste très en deçà des niveaux européens et nord-américains. « Il est très difficile d’estimer le nombre d’aficionados chinois, reconnaît José María López, vice-président de Habanos en charge du développement. La croissance rapide de l’économie du pays depuis les vingt dernières années a fait émerger une nouvelle classe, dotée d’un pouvoir d’achat moyen à élevé. L’amateur chinois est un consommateur urbain, attiré par le luxe, peu connaisseur mais très concentré sur la marque : entre 40 et 50 % de la demande est concentrée sur Cohiba. »
Jeunes fortunés et magnats des affaires
« C’est un marché dominé par deux types de public », détaille de son côté le patron de Cigraal Éric Piras, installé à Hong Kong depuis de nombreuses années, importateur de plusieurs marques (Flor de Selva, Cumpay, Padrón, Ashton, Joya de Nicaragua) en Asie et très bon connaisseur du marché chinois. Il y a un premier ensemble constitué de trentenaires dont la fortune est très récente et de tycoons cinquantenaires. Ce sont deux populations à la recherche de tout ce qui est rare, d’éditions limitées ou prestigieuses, de tout ce qui se collectionne… Mais il y a aussi une classe moyenne supérieure qui cherche à goûter autre chose, moins cher et d’un meilleur rapport qualité/prix. » D’où sans doute la participation croissante de Chinois à ProCigar.
Pour l’heure, le marché reste très largement dominé par les Cubains. Mais c’est un marché à trois têtes qu’il faut savoir décrypter. « Quand Habanos avance le chiffre de 15 millions de cigares vendus en Chine en 2018, cela inclut le marché intérieur chinois mais aussi Hong Kong, Macao et Taïwan, ainsi que les ventes en duty free », explique Eduardo Torres, directeur général d’Infifon, l’importateur exclusif des havanes pour la Chine continentale, où la fabrication, l’importation et la vente de tabac sont intégralement contrôlées par un monopole d’État, la State Tobacco Monopoly Administration (STMA).
Des tarifs trois fois plus élevés qu’en Europe
Aucun produit du tabac ne peut y être vendu légalement s’il n’a pas été fabriqué ou importé par cette agence réputée pour sa puissance – c’est elle qui aurait bloqué toute législation nationale anti-tabac en Chine jusqu’à maintenant – autant que pour son goût du secret. Concrètement, seules 77 références de cigares cubains (sur plus de 250) sont actuellement autorisées à la vente en Chine continentale. La STMA définit chaque année des quotas d’importation tenus secrets mais qui, selon les spécialistes, tournent autour de 1,5 million à 2 millions de pièces, incluant les cigares fabriqués à la machine. Le monopole fixe aussi les prix, très élevés pour les cigares alors que les cigarettes sont bon marché. La boîte de 25 Cohiba Robustos (le cigare le plus vendu en Chine) tutoie ainsi les 1 500 euros (contre 542,50 euros en France) quand le Partagás D4 est à 34 euros (14,40 euros en France). Une situation qui favorise le marché noir et la contrebande, avec le corollaire inévitable que sont les contrefaçons.
Dans les « régions administratives spéciales » de Macao et Hong Kong, les prix sont moins élevés et l’intégralité du catalogue Habanos est disponible. Mais impossible de connaître le détail des ventes : Pacific Cigar, qui assure la distribution exclusive en dehors de la Chine continentale, ne communique pas sur ses chiffres. Tout juste consent-on à nous dire que, sans surprise, c’est la marque Cohiba qui caracole en tête des ventes. « L’un de nos objectifs est de développer la culture du cigare dans ce pays, explique José María López, ce qui signifie notamment apprendre au consommateur chinois qu’il y a autre chose que Cohiba. »
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Une réglementation à géométrie variable
Ce pays immense, qui est à la fois le plus grand producteur et le plus grand consommateur de tabac au monde, n’a pas de législation nationale anti-tabac, hormis des initiatives – pas vraiment suivies – visant à dissuader les Chinois de fumer dans les établissements de santé et les universités. Dans les provinces reculées, la liberté est encore assez grande, mais ce n’est plus le cas dans les grandes villes. La municipalité de Pékin a pris des mesures de restriction dès 2008, juste avant d’accueillir les jeux Olympiques, et les a sévèrement renforcées en 2015 (interdiction de fumer dans les bureaux, les restaurants, les hôtels et les hôpitaux), avec des amendes à la clé et l’ouverture d’un numéro de téléphone pour dénoncer les contrevenants. La capitale économique, Shanghai, et la quatrième ville du pays, Shenzhen, ont suivi quelques mois plus tard. Une vingtaine d’autres villes ont pris des mesures similaires, même si elles ont parfois du mal à les appliquer. C’est à Hong Kong que, héritage britannique oblige, la législation est la plus sévère : le tabac est interdit dans tous les lieux publics, à l’exception de « salles de dégustation » tolérées dans les boutiques qui vendent des cigares.
Les 5 cigares les plus vendus en Chine
1- Cohiba Robusto
2- Cohiba Siglo II
3- Romeo y Julieta N° 2
4- Cohiba Siglo VI
5- Montecristo N° 4
Source : Habanos S.A.
Une production locale
La Chine compte quatre fabricants de cigares qui travaillent essentiellement à partir de feuilles récoltées et traitées dans les régions subtropicales humides. Selon les historiens, la culture du tabac dans le pays remonterait à la dynastie des Ming (xive-xviie siècle). La marque la plus connue, Great Wall Cigars, est installée depuis plus de cent ans dans la province du Sichuan. Elle produit essentiellement des cigares faits machine, mais aussi 1,5 million de pièces faites à la main chaque année.
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