Le bon matos de Benjamin Biolay
Artiste prolifique, Benjamin Biolay chante, écrit, compose, fait l’acteur au cinéma et le juré à la télévision. Et en plus… il fume le cigare. Il nous fallait le rencontrer.
Par Jean-Pascal Grosso
« J’ai eu un véritable coup de cœur pour l’Argentine, comme lorsque vous rencontrez une femme et que vous vous dites qu’elle est faite pour vous. C’était il y a quinze ans, j’étais parti sur les traces de Che Guevara. Cela a été pour moi une forme de renaissance… » Il y a quelque chose de presque touchant chez ces admirateurs du révolutionnaire arborant leur icône sur des T-shirts et des paquets de cigarettes. De cet engouement teinté de politique qu’a éprouvé Benjamin Biolay – quarante-cinq ans depuis janvier, le cheveu grisonnant – pour le guérillero naîtra un amour concret, fusionnel pour Buenos Aires. « J’y retourne très souvent », dit-il de sa voix grave et indolente qui fait se pâmer les filles dans les salles de concert et de cinéma. Auteur-compositeur, chanteur, acteur, parolier (pour Keren Ann, Élodie Frégé, Vanessa Paradis…), l’artiste multifonction mué globe-trotter ajoute dans la foulée : « Et je compte, qui sait, un jour m’y installer. »
L’instinct et La Douleur
« J’aurais aimé être un bon photographe, ce que je ne suis pas. C’est tout. Pour le reste, c’est déjà pas mal, non ? » Le natif de Villefranche-sur-Saône, affilié par sa mère à la dynastie des couteaux Opinel, a monté seul les échelons du show-business français, débutant dans la musique au milieu des années 1990 (premier single en 1997, « La Révolution », premier album en 2001, Rose Kennedy), réalisant des albums à succès pour des talents comme Henri Salvador (Jardin d’hiver), Isabelle Boulay (le carton de Mieux qu’ici-bas) ou Vanessa Paradis (Love Songs). Quant au cinéma, sa fructueuse carrière – vingt-quatre apparitions à l’écran en treize ans –, elle a commencé en 2004 avec Pourquoi (pas) le Brésil de Laetitia Masson, où il campe son propre rôle. « Je me considère comme un acteur, explique-t-il sans fausse modestie, pas un comédien. Je n’ai pas fait de cours de théâtre, je ne suis jamais monté sur les planches, je n’ai jamais eu un prof pour me demander de faire l’arbre. Je suis plus dans l’instinctif. » Second rôle « assumé », il a brillé dans Stella de Sylvie Verheyde (un rôle qui lui valut, en 2009, une nomination au César du meilleur acteur dans un second rôle), Personal Shopper d’Olivier Assayas, La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil de Joann Sfar et, plus récemment, le poignant La Douleur d’Emmanuel Finkiel dans la peau de Dionys Mascolo, résistant et amant de Marguerite Duras. « Je suis un acteur de complément et j’aime ça », affirme-t-il pour clore le sujet.
Après un mixage…
Il y a un paradoxe tenace chez Benjamin Biolay. Devant vous, posé et prolixe, élégant, il est aux antipodes du redoutable personnage public qu’il semble aimer afficher. Ses nombreuses sorties sur Twitter, comme celle où il insultait grassement Nicolas Dupont-Aignan (lors de son ralliement à Marine Le Pen en 2017), ont contribué à son image brute. On pourra donc s’étonner de la manière pacifiée avec laquelle l’homme répond aux questions qui lui sont posées, aussi nombreuses soient-elles. Ainsi sur le cigare : « Je fume plutôt rarement car, pour un cigare, explique-t-il, il me faut un moment privilégié. Avec des amis. Pas pour faire le vide autour de moi. Pour ça, il y a toujours d’autres moyens… » Il s’interrompt un instant, se roule une cigarette. Le chanteur reprend : « Pour moi, le cigare est le seul plaisir de fumer que je puisse avoir. J’ai essayé plusieurs fois d’arrêter la cigarette. Le joint, je n’ai rien contre, mais c’est pour être stone. Avec le cigare, c’est différent. Je reconnais aussi que ça pue mais c’est une odeur que j’aime. Quand je termine un mixage, j’aime bien fumer un cigare en découvrant le résultat. »
Sa cigar connection
Puis le parolier à la mélancolie distinguée remonte le boulevard des souvenirs. Dans un sourire esquissé, il confesse : « J’ai commencé en Italie avec des Garibaldi (ndlr : des Toscani faits machine), mais je ne sais pas si ce sont vraiment des cigares. Je les avais achetés parce que le nom me faisait marrer. Plus tard, j’ai eu un manager qui s’appelait Albert. Moi, j’habitais Lyon à l’époque. Quand nous avions un truc cool à fêter, il filait acheter des cigares à la boutique Davidoff de Genève. La première fois que j’ai signé avec une maison de disques, nous avons ainsi passé la soirée autour de très bons havanes et de quelques liqueurs. Ensuite, c’est presque devenu systématique. » Cet amateur déclaré de Montecristo retourne-t-il parfois dans la boutique fondée par le légendaire Zino ? Non. Lui a sa « combine », sa propre cigar connection : « Même si je n’y suis jamais allé, j’ai la chance d’avoir des potes à Cuba. J’ai toujours du bon matos quand ils m’offrent des cigares. » L’ex-manager, les copains d’ici et d’ailleurs… Dans cette joyeuse ronde, avec qui a-t-il partagé son plus récent module ? À cette question, le beau redevient ténébreux, joue non sans une pointe d’humour la carte du mystère : « La dernière personne avec qui j’ai fumé un bon cigare ? Un homme politique, mais je ne peux pas vous dire lequel ! »
Un vieux juré ?
« C’est assez intéressant, Nouvelle Star. Parcourir les grandes villes de province pour chercher l’inspiration, découvrir de quel genre de musique se nourrit la jeunesse du pays. Ça a été une grande surprise pour un “vieux” comme moi qui ai commencé en 1991 avec L’Affaire Louis’ Trio. Les choses ont depuis beaucoup changé. J’ai pris un grand plaisir à partir à la rencontre de tous ces gamins. » S’il lui manquait une corde à son arc, la voilà : Benjamin Biolay est entré l’année dernière chez des personnes qui sûrement ne le connaissaient pas par le biais de la petite lucarne et d’une émission de télé-crochet à succès. Il a intégré un jury composé de Cœur de Pirate, du producteur Dany Synthé et de la directrice artistique Nathalie Noennec. Une expérience pour lui notable, enrichissante, mais qui lui a valu un semblant de polémique sur ses prétendus émoluments. Il a depuis repris, intact, le chemin des salles de France et de Navarre. « Benjamin Biolay a encore frappé, qui s’en plaindra ? » s’enthousiasmait, au moment où il composait pour l’ardente Alka Balbir, un journaliste de L’Obs. Si vous voulez vous faire votre propre avis sur le personnage et son art, l’intéressé sera cet été en concert à Paris et à Lyon.
Jean-Pascal Grosso
Benjamin Biolay en concerts du 29 juin au 1er juillet aux Folies Bergère à Paris et à Lyon aux Théâtres romains le 17 juillet.
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