Jean d’Ormesson, un homme de goût
Nous l’avions rencontré chez lui en 2001 à l’occasion de la sortie de son roman Voyez comme on danse. Il nous avait alors confié son goût pour le cigare, les havanes en particulier.
(Extrait de l’interview publiée dans le N°29 de l’Amateur de Cigare en septembre 2001)
Par Jean-Claude Perrier • Photo Luc Monnet
On n’interviewe pas vraiment Jean d’Ormesson … Rendez-vous avait été pris aux éditions Robert Laffont. Devant la porte, son coupé Mercedes, ancien, mais élégant, avec sa ligne de squale. Mais, derrière le parebrise, un petit écriteau « En panne » nous avait inquiétés. En effet, lâché par son fidèle véhicule, l’académicien, paniqué, avait regagné ses pénates. Et oublié L’Amateur. Du coup, il nous proposait de le rejoindre chez lui. C’est ainsi qu’un entretien formel dans un bureau anonyme s’est transformé en une délicieuse conversation apéritive, dans le jardin d’une aristocratique demeure de Neuilly. Avec un Jean d’Ormesson détendu, pétillant, digressant, sautant du coq à l’âne, enchaînant les anecdotes sur le cigare, l’Académie, la littérature … En famille, entouré de sa femme, de sa petite-fille Marie-Sarah, la fille de sa fille Héloïse, éditrice.
Existe-t-il une cave à cigares à l’Académie?
Non. Chacun apporte ses provisions de bouche! Une fois, Michel Mohrt avait proposé la création d’un bar, doté d’une cave à cigares, une sorte de buvette, comme à l’Assemblée. Ça aurait été très chic. Nous étions plusieurs à y être favorables, dont le regretté Jacques Laurent. Ça ne s’est pas fait.
Vous avez toujours été heureux dans tout ce que vous avez entrepris ?
Morand me disait : « Fais ce que tu veux, mais pas de pornographie, et pas de journalisme ! »
Vous avez pourtant dirigé Le Figaro ?
Oui, et j’en ai été très heureux. C’est mieux que d’être ministre.
Tiens, ministre, ça manque dans votre palmarès! Ça vous tenterait?
Ma réponse est non, non, non!
Plusieurs fois, votre nom fut cité, lors de la formation de tel ou tel gouvernement?
Une fois, ça a été à deux doigts de se faire … Mais on ne m’a jamais proposé d’être ministre de la Culture. J’aurais sans doute accepté et exécré ça! Je ne peux pas m’empêcher de faire des choses que je regrette ensuite. Vous savez, je suis rarement de mon propre avis !
Vous avez vos idées politiques, connues de tout le monde, mais vous n’avez jamais été un militant?
Je suis un démocrate, franchement et résolument. Quant au militantisme, je le pratique de moins en moins, même pour l’Académie française.
Où vous siégez depuis déjà fort longtemps…
J’ai été élu en 1973. Pendant longtemps, j’ai été le plus jeune un peu partout, comme à l’Unesco où, récemment, lors d’une réunion, je me suis entendu consulter en tant que doyen. Ça m’a fait tout drôle. Il faudrait instituer une limite d’âge pour les académiciens, comme le pape en a institué une pour les cardinaux du Sacré Collège.
Mais les académiciens, eux, sont immortels.
Quand un académicien meurt, il se change en fauteuil !
Quelles sont vos activités à l’Académie?
Je siège à la commission du roman, et à celle des grands prix. Et l’on m’attribue quelque influence lors des élections …
Celle de Yourcenar, vous l’avez revendiquée?
Absolument! Là, ça a été bingo !
Quel fumeur de cigares êtes-vous?
Je ne suis pas un amateur de cigares. D’ailleurs, je connais très peu de choses à très peu de choses, j’apprends en écrivant. ..
Allons, allons …
J’ai longtemps fumé des Montecristo Especial No 2, des Hoyo du Roi et des Dieux. Grâce à Romain, le héros de mon roman, qui a réellement existé, j ‘ai appris qu’un cigare n’est pas forcément fort parce qu’il est gros.
Vous vous souvenez de votre premier cigare?
C’était il y a vingt ou trente ans, et on me l’avait offert. Au début, « À l’Académie, on a failli avoir une cave à cigares. Ça aurait été très chic. Michel Mohrt, Jacques Laurent et moi-mêmey étions très favorables. » Je me suis presque forcé, ensuite j’ai apprécié.
Vous ne fumez que des havanes?
En général, oui. Mais j’ai goûté des saint-domingues, des honduriens, voire des brésiliens qui n’étaient pas ignobles.
Vous fumez beaucoup ?
Jamais plus d’un cigare par jour, et en général après le déjeuner. Et il m’arrive de rester plusieurs jours sans fumer …
[là, intervient Mme d’Ormesson, venue récupérer la délicieuse Marie Sarah, afin de l’emmener se coucher.]Mme d’Ormesson : Quoi? Tu oses dire que tu ne fumes pas plus d’un cigare par jour! C’est faux, monsieur. Il fume toute la journée, et même parfois au petit déjeuner.
L’Amateur de Cigare : Et vous-même, madame, vous fumez le cigare ?
Mme d’Ormesson : De temps en temps.
Jean d’Ormesson [reprenant le contrôle de la situation]: J’aime beaucoup les femmes qui fument le cigare.
Dans Voyez comme on danse (publié en 2001), le cigare joue un rôle non négligeable, il y a même débat entre deux personnages, Jean et Romain, sur les mérites comparés des Cohiba et des Hoyo !
En effet. Dans ce livre, tout est vrai, tout est exact. Écrire un roman, ça consiste à inventer avec des souvenirs.
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