« Je ne pense pas que nous ayons atteint le pic de la demande », estime Kolja Kukuk (Rocky Patel Cigars)
Kolja Kukuk, directeur du marketing et des ventes de Rocky Patel pour l’Europe nous livre son analyse du marché.
Une interview à prolonger avec la lecture de notre dossier « Amateurs, vous avez changé » dans le n° 157.
L’Amateur de Cigare : Avec le manque de cigares cubains, vous avez une chance à saisir ?
Kolja Kukuk : Avant 2020, notre marché progressait tranquillement, mais depuis la Covid, c’est de la folie. Les gens ont acheté plus de cigares mais aussi plus de vin, de whisky, etc. Ceux qui fumaient un cigare par semaine en fument désormais cinq ou six. Et maintenant qu’ils ont adopté ce style de vie, je pense qu’ils ne reviendront pas en arrière. Par ailleurs, les Cubains ne parviennent pas à satisfaire la demande à travers le monde. Résultat, beaucoup de détaillants réduisent la place dévolue aux havanes dans leur boutique et élargissent leur offre en cigares du Nouveau monde.
L’ADC : Est-ce que vous arrivez à suivre, alors que votre marché principal, les Etats-Unis, est lui aussi en forte hausse ?
K. K. : Fin 2021 et début 2022, nous avons eu des problèmes de livraison pour les cigares provenant de notre manufacture au Nicaragua, qui est plus petite que celle du Honduras, car la demande a explosé. Sur les dix premiers mois de 2022, la demande a augmenté de 200 % ; c’était impossible à anticiper. En parallèle, nous avons ouvert de nouveaux marchés dans les Balkans, en Europe de l’Est, au Moyen-Orient, en Asie, et les ventes ont explosé. Nous avons encore des problèmes avec la fabrique du Nicaragua, bien que nous ayons doublé la capacité de production – nous avons embauché plus de 80 nouveaux torcedores. Et pourtant, nous n’avons pas été les plus impactés car nous sommes intégrés verticalement, c’est-à-dire que nous avons nos propres terres, nos propres séchoirs, nos propres stocks. Nous avons en permanence entre 30 et 35 millions de dollars de tabac en train de vieillir. Le plus gros défi en ce moment, c’est la pénurie de torcedores et de matériel d’emballage. Beaucoup de boîtes viennent de Chine. Or, le coût du fret a beaucoup augmenté. Même chose pour le prix du bois. C’est en train de se calmer mais ça reste très élevé.
L’ADC : Beaucoup de producteurs que nous rencontrons nous disent qu’ils adorent la France, que les amateurs français sont de très bons connaisseurs… Mais au final, leurs cigares finissent toujours aux Etats-Unis parce que c’est le plus gros marché et le plus rémunérateur.
K. K. : Bien sûr, d’un point de vue économique, il est préférable pour nous de vendre nos cigares aux Etats-Unis, car nous vendons directement aux détaillants, sans intermédiaire. Ailleurs, comme en France, il faut passer par un importateur, payer des frais de transport supplémentaires, des taxes supplémentaires. Donc les mages sont plus faibles. Quand vous avez déjà du mal à fournir les volumes voulus sur le marché “domestique” (les Etats-Unis), bien sûr, vous ne voulez pas perdre d’argent en vendant à l’international. Mais aujourd’hui, nos ventes progressent davantage en Europe qu’aux Etats-Unis.
L’ADC : Pensez-vous qu’il y a un boom ou que vous profitez seulement de l’absence des Cubains ?
K. K. : Les deux. Bien sûr, l’indisponibilité des Cubains nous aide. Mais nous voyons aussi un développement de la clientèle dans la tranche d’âge 25-35 ans, qui est arrivée au cigare pendant la pandémie. Les gens ne pouvaient plus voyager, ne pouvaient plus sortir… Dans quoi ont-ils dépensé leur argent ? Le plaisir à la maison. On a vu ça aussi sur les réseaux sociaux : les blogueurs, les influenceurs voyage ou luxe ont commencé à mettre des cigares dans leurs publications. Parce que c’est un produit de luxe abordable, c’est beau sur les photos. Tout ça a eu un effet boule de neige. Et je ne pense pas que ce soit temporaire. Bien sûr, ça ne va pas rester aussi fou qu’en ce moment. Mais les gens qui commencent le cigare maintenant, qui ont essayé – parfois contraint et forcé – de nouveaux produits, ont un vaste monde à explorer. La question qu’entendent le plus les détaillants aujourd’hui partout dans le monde c’est : “qu’est-ce que vous avez de nouveau ?”
L’ADC : Vous ne pensez-pas que tout va rentrer dans l’ordre quand les cigares cubains reviendront dans les civettes ?
K. K. : D’abord, je ne pense pas que les Cubains reviendront au niveau où ils étaient avant, car la demande est aujourd’hui beaucoup trop élevée. Même s’ils doublaient leurs volumes, ça ne suffirait pas. On le voit en Chine, où nous allons commencer à vendre nos cigares cette année. Cinq ou dix ans avant la pandémie, la culture du cigare s’est beaucoup développée en Chine : des fumoirs ont ouvert, les gens ont commencé à s’intéresser. La Chine a aussi la plus importante classe moyenne du monde. Il y a donc beaucoup de gens qui ont le goût et les moyens d’acheter des cigares mais qui ne trouvent pas de cubains. C’est pourquoi je ne pense pas que nous ayons atteint le pic de la demande.
L’ADC : Cela signifie que les producteurs doivent investir. Dans des terres agricoles, dans des manufactures et dans les travailleurs.
K. K. : Le tabac est une plante qui pousse assez vite. Le Honduras et le Nicaragua peuvent facilement augmenter les surfaces cultivées. La République dominicaine peut également produire beaucoup de tabac. Le tabac ne sera pas un problème. Le principal problème, c’est les hommes. C’est là qu’il va falloir investir.
Propos recueillis par Laurent Mimouni
Pour aller plus loin, lisez notre dossier « Amateurs, vous avez changé » dans le n° 157, disponible dès maintenant sur notre Boutique en ligne et en kiosques à partir du 10 février
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