Il est bio, ton puro, gringo ?
La culture biologique de la vigne représente aujourd’hui 10 % du territoire français. Celle du tabac, en revanche, reste encore confidentielle au niveau mondial.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la montée en puissance de l’agriculture en général et de la viticulture en particulier n’a pas été un long fleuve tranquille. Conséquences directes de la hausse de la production et de l’émergence de méthodes quasi industrielles, la rationalisation des parcelles et le passage à la monoculture ont ouvert de grands espaces à de nouvelles maladies qui ont décimé les champs et pris la relève de maladies plus anciennes apparues au xixe siècle.
L’oïdium de la vigne, venu des États-Unis, réduisit quasiment à néant le millésime 1854 avant que l’on comprenne qu’il pouvait être combattu avec du soufre. Très proches botaniquement de la vigne, les feuilles de tabac furent aussi affectées et traitées de la même manière.
« La bouillie bordelaise »
Le mildiou, déjà, avait débarqué des Amériques vers 1840 et décimé les champs de pommes de terre, provoquant des famines entre 1845 et 1850 – l’Irlande passa de huit à sept millions d’habitants en dix ans. La vigne et les plants de tabac subirent aussi d’immenses dommages avant que soit trouvée une solution avec la « bouillie bordelaise », à base de cuivre. Les propriétaires du château Dauzac, à Margaux, avaient badigeonné en bleu les plants du bord de route pour éviter les vols de raisin. Or il apparut que la solution de sulfate de cuivre employée protégeait la vigne de cette toute nouvelle maladie qui faisait des ravages.
Ces épisodes, souvent dramatiques, ont peu à peu introduit la chimie dans le monde très traditionnel de la viticulture, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur quand, grâce à Pasteur, le mécanisme de la fermentation est élucidé, même si le chimiste allemand Justin von Liebig a tenté de le tourner en ridicule.
On doit au même Liebig la théorie de l’engrais : les éléments minéraux puisés dans le sol par les plantes doivent être restaurés, sinon le sol s’appauvrit au fur et à mesure. Peu à peu, comme pour les maladies humaines, les chercheurs cherchent également à soigner les plantes à l’aide de médicaments. Ces avancées permettent d’augmenter un peu partout les rendements et régulent les productions. Aujourd’hui, une vigne produit cinq fois plus de raisins qu’il y a un siècle, les productions de tabac explosent et les travaux agricoles sont moins éprouvants.
Le lutte chimique
Il est cinq fois moins cher de désherber chimiquement un vignoble que de le labourer. Les producteurs oublient ainsi peu à peu les us et coutumes de la production traditionnelle pour se mettre sous le parapluie de la chimie qui, de surcroît, pensent-ils, les fait entrer dans une ère moderne et scientifique : « J’ai tel problème sur ma feuille de tabac, je lui balance telle molécule et le problème est réglé. »
Mais bientôt apparaissent les limites de cette course en avant : les sols sont de plus en plus pollués et asphyxiés par trop d’azote et trop de chimie, les rendements cessent d’augmenter et commencent même à décroître, les engrais sont de moins en moins efficaces, les cancers et les maladies d’Alzheimer et de Parkinson explosent. Même lorsqu’on bombarde des insecticides, il reste toujours une souche résistante à la molécule utilisée, qui se met à prospérer et rend le traitement chimique inopérant au bout de cinq ans.
Les plus lucides cherchent alors à se libérer de la dépendance chimique et à retrouver leur autonomie et une agriculture plus vertueuse. C’est l’avènement de l’agriculture bio. Elle représente en France 10 % des surfaces cultivées en vigne. Côté tabac, sur les 2 800 ha de tabac de Virginie et les 1 330 ha de burley plantés dans l’Hexagone, le mouvement est aussi bien engagé.
1 % de la production de feuilles de cigare
Quant à Cuba, les cultures y ont été longtemps largement préservées, car les produits chimiques se payent en devises. D’autre part, Fidel Castro s’est toujours gardé de nationaliser la culture du tabac qui est restée très traditionnelle. Mais cela n’a pas empêché la recherche cubaine de copier les produits chimiques internationaux, y compris les plus polluants.
Côté vin, le bio a le vent en poupe et les conversions se multiplient sur le territoire. Côté cigare, l’un des plus gros producteurs de tabac du monde, le groupe Plasencia Tobacco, s’est lancé. À côté de la fabrication de vitoles pour une quarantaine de marques (Flor de Selva, Cumpay, Rocky Patel, Gurkha, Alec Bradley…), il a lancé des cigares 100 % bio certifiés par un organisme américain, qu’il a baptisés Plasencia Reserva Orgánica. Certes, cette production ne représente que 1 % de ses exportations mais le mouvement est lancé.
Longtemps privé d’insecticides, d’herbicides et même de matériel, Cuba aurait pu passer au bio en sautant simplement l’étape d’industrialisation et d’agriculture intensive. Une partie de l’horticulture s’est engagée dans cette voie sur l’île. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé pour la culture du tabac où l’on utilise encore majoritairement la chimie. Même si quelques fincas s’y mettent, en particulier grâce à la permaculture, il reste du chemin à faire. Les grands cigares bio de Cuba, ce n’est pas pour tout de suite.
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