Des Robaina roulés en Birmanie ?
À des milliers de kilomètres de Cuba, en Birmanie, on tente de produire une nouvelle marque de cigares : Don Alejo Robaina, le fruit d’un partenariat entre l’une des plus célèbres bagues de l’île et une compagnie de tabac birmane quasi inconnue. C’est du moins ce qu’annonçait un communiqué fourmillant de détails. Le savoir-faire cubain s’exporterait-il en Asie ? Troublant… Nous avons voulu enquêter.
Par Jean-Baptiste Bourgeon
Début décembre, un communiqué frappé du logo de la Burmese Tobacco Trading Company sème le trouble. Il annonce qu’une nouvelle marque verra le jour en 2018 : la Don Alejo Robaina Cigar brand, issue d’une collaboration étonnante entre la famille Robaina et cette compagnie de tabac birmane.
Le nom n’a pas été choisi au hasard puisque cette nouvelle ligne sera dédiée à la mémoire et au savoir-faire d’Alejandro Robaina en personne, nous explique-t-on noir sur blanc. Rappelons qu’Alejandro Robaina est le le fameux veguero cubain qui donna son nom à la marque de havanes Vegas Robaina, couronnée dans le Havanoscope 2018 (voir encadré). Mais, sur le papier, le pari semble un peu fou. Le tabac serait cultivé en Birmanie, sur un verdoyant lopin de terre de 80 hectares, doté d’un sol très riche, « comparable à celui de Pinar del Río à Cuba », détaille le communiqué. Si la tradition des cigares birmans et de ses fameux cheroots est célèbre depuis des siècles, la comparaison a de quoi laisser un peu sceptique. Enfin, toujours d’après la compagnie birmane, la fabrication de ces nouveaux cigares serait supervisée depuis quatre ans par une équipe de haut vol venue de la ferme Robaina afin que le savoir-faire de la bague au R doré soit entièrement respecté.
Coup de théâtre
Mais, quelques jours plus tard, alors que nous cherchons à en savoir plus sur cette étonnante annonce, coup de théâtre ! Hiroshi Robaina, aujourd’hui à la tête de la finca familiale, nie tout en bloc : « Je ne suis impliqué dans aucun projet avec la Burmese Tobacco Trading Company. Cette firme a décidé de la création de cette ligne sans mon consentement », déclare le petit-fils d’Alejandro Robaina. L’héritier de la marque ajoute qu’il ne serait allé en Birmanie qu’une seule fois, en 2013, et qu’il aurait constaté que la terre n’était pas assez bonne pour produire du tabac de qualité…
Un étonnant retournement de situation qui soulève beaucoup de questions, d’autant que ce n’est pas la première fois qu’Hiroshi aurait utilisé son illustre nom pour produire des cigares en dehors de Cuba. Une marque à ses initiales, HR, a déjà vu le jour au Nicaragua et il l’a présentée en personne à Las Vegas en 2015.
Silence radio
Ce qui est sûr, après enquête, c’est que la marque Don Alejo Robaina existe bel et bien, déposée par un certain Jian Mo Huang à Miami en 2013 et enregistrée par les autorités américaines en 2015. Y a-t-il bel et bien eu collaboration entre la famille cubaine et la compagnie birmane ? Le label cubain Vegas Robaina est-il victime d’une tentative d’escroquerie ? L’héritier Hiroshi a-t-il joué avec le feu ? S’est-il subitement rétracté sous la pression des autorités cubaines, propriétaires de l’ensemble des marques de l’île ? Nous avons tenté de questionner le porte-parole de cette nouvelle marque qui est aussi en charge de la communication de la compagnie de tabac birmane. Il n’a pas souhaité pour le moment commenter cette volte-face et évoque simplement un « problème interne mineur qui sera bientôt réglé ». Affaire à suivre.
Vegas Robaina
D’abord des havanes
En 1997, à Madrid, la société cubaine Habanos S.A. lance avec panache une nouvelle marque, Vegas Robaina, la troisième seulement depuis la révolution de 1959 après Cohiba et Cuaba. Et l’un des modules de ce nouveau label, un double corona, est baptisé Don Alejandro : un Cubain qui donne de son vivant son nom à un havane, on n’avait pas vu cela depuis des lustres !
Il faut dire qu’Alejandro Robaina, décédé en 2010, est alors le plus célèbre veguero cubain. Icône pour tous les amateurs qui lui rendent visite dans sa finca de San Luis, au cœur de la Vuelta Abajo, reconnu par ses pairs, il incarne le havane aux yeux du monde entier. En fait, le plus grand apport de l’homme à l’industrie tabacole cubaine ne relève pas d’innovations agricoles mais politiques. Après la révolution de 1959, Robaina a réussi à conserver un statut semi-indépendant. D’accord pour vendre toute sa production à l’État, il avait exigé de conserver l’usage des lieux. Comme les résultats suivaient, il avait fini par être sollicité pour promouvoir auprès de ses homologues planteurs une certaine forme d’indépendance matérielle et opérationnelle. Objectif : encourager l’accès à la propriété individuelle des vegueros pour asseoir une politique de rendement et de qualité au service de l’industrie du cigare. Avec des salaires jusqu’à quatre fois supérieurs à ceux pratiqués dans les plantations d’État, l’initiative a éveillé des vocations. Si, dans la Vuelta Abajo, près de 80 % des plantations sont désormais privées, c’est en grande partie grâce à lui.
Vers 2006, Alejandro Robaina désigne pour héritier son petit-fils Hiroshi, ceinture noire de judo dont la connaissance du tabac ne fait aucun doute, même si d’aucuns voient plus en lui un businessman féru de marketing qu’un planteur courbé sur ses plants.
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