Christian Eiroa, le disrupteur
Né au Honduras dans une famille d’exilés cubains, Christian Luis Eiroa, un temps dans la finance, est à l’origine du succès de Camacho mais aussi de nouveaux modules plus étonnants comme les très très gros Asylum ou les doubles capes bicolores. Pourtant, il n’y croyait pas.
Laurent Mimouni
Avec son ascendance et son lieu de naissance, en plein cœur de la vallée tabacole de Jamastrán, au Honduras, Christian Luis Eiroa semble tout avoir du parfait héritier bien rangé. Et pourtant, il est l’un de ceux qui font le plus bouger le monde du cigare aujourd’hui. Né dans une famille liée au tabac depuis deux générations, il raconte volontiers avoir fait les quatre cents coups dans la ferme familiale, et même avoir roulé son premier cigare à l’âge de huit ans, mais sans jamais envisager, à l’époque, de travailler dans cet univers. « Je n’ai jamais voulu travailler avec mon père, raconte-t-il. Mon frère avait essayé, et ça s’était mal passé… »
C’est à la fin du xixe siècle que son grand-père, Generoso Eiroa, quitte l’Espagne, direction Cuba. En 1915, Generoso achète une ferme de 40 hectares dans la Vuelta Abajo. Il la baptise La Victoria, du nom de celle qui sera la grand-mère de Christian et qui, devenue veuve, choisira de quitter l’île après l’arrivée au pouvoir des barbudos. Julio, le père de Christian, participe au débarquement raté de la baie des Cochons en 1961 avant de s’installer au Honduras où il se constitue petit à petit un empire en achetant des plantations mises en vente par le gouvernement.
Les débuts de Camacho
En 1993, Christian décroche un master en commerce international. Il a passé plusieurs étés en France et parle encore aujourd’hui un très bon français. Refusant de suivre le parcours qui semblait lui être tracé, il se lance dans le monde de la finance à la fin des années 1990. Mais son père parvient finalement à le convaincre de travailler avec lui en lui confiant une mission qui lui permettra de garder ses distances : trouver de nouvelles sources d’approvisionnement en tabac à un moment où la demande explose. Il parcourt donc le Mexique, l’Indonésie, le Panama et d’autres pays un peu plus inattendus comme l’Italie et le Bangladesh.
C’est à cette époque que son père rachète la marque Camacho, celle qui va définitivement sceller la carrière de Christian Eiroa dans le business du cigare. Quand Julio prend sa retraite, il en devient le vrai patron et décide de revoir entièrement l’assemblage de la marque en intégrant des feuilles de corojo, une variété de tabac originaire de Cuba (qui y a disparu depuis) qui s’épanouit parfaitement au Honduras. Le succès est fulgurant, d’autant que ces Camacho nouvelle version coïncident avec le « boom du cigare » aux États-Unis.
Avec son profil d’héritier, Christian Eiroa est donc aussi un innovateur de premier plan, voire un pionnier, lorsqu’il décide, vingt ans plus tard de se lancer dans les très gros modules avec la marque Asylum 13. Mais durant ces vingt années, Christian Eiroa a encore refusé de suivre une ligne droite. En 2008, exténué par « 82 mois de succès d’affilée, à battre chaque semaine les records de vente de la semaine précédente » avec ses nouveaux Camacho, et lassé de ne plus voir sa femme et ses enfants, il décide de vendre la marque à Oettinger, la maison mère de Davidoff… et de se consacrer à la pêche, à l’aviation amateur et au golf.
Instagram préfère les gros…
La pause ne dure que quelques mois avant qu’il revienne dans le monde du cigare, accompagné de son ami Tom Lazuka, ancien employé de Camacho et désormais associé, avec une question en tête : « Qu’est-ce que je ferais différemment si je pouvais tout recommencer à zéro ? » Il fonde alors les marques CLE (reprenant les initiales de son nom) et Asylum, où il va laisser libre cours à ses penchants pour l’expérimentation.
« Au départ, raconte-t-il, quand Tom m’a dit : “Il faut faire des très gros cigares de 7 × 70 [177 mm de long pour 27,78 mm de diamètre, ndlr] et même des 8 × 80 [203 × 31,74 mm, ndlr]”, j’ai répondu non. Comme il insistait, je lui ai dit : “OK, mais seulement 100 000 pièces.” En fait, nos ventes ont explosé aux États-Unis. » Le producteur en tire la conclusion suivante, que ne démentirait pas un startuper de la Silicon Valley : « Si tu veux entrer sur un marché, il faut “disrupter”, proposer quelque chose de nouveau. C’est ce qu’on a fait, à l’époque, avec Camacho. Avec Asylum, on a lancé des cigares barber pole bicolores, habillés d’une double cape, et ça fonctionne bien aussi. Ce succès m’étonne toujoursil. Les diamètres énormes, la tête de mort… Tout ça, ce n’est pas vraiment ma culture. Ça me surprend toujours que le classique Robusto soit la plus mauvaise vente dans la ligne Asylum 13 [au profit des plus gros modules, ndlr], mais c’est comme ça. J’y vois deux explications. D’abord, les amateurs – notamment les plus jeunes – raisonnent de la manière suivante : pour 7 dollars, tu as deux heures et demie de dégustation, c’est imbattable. Ensuite, c’est un effet des réseaux sociaux : c’est plus intéressant, plus spectaculaire, d’envoyer une photo ou un selfie avec un très gros module. »
Christian Eiroa apporte aussi au monde du cigare une approche plus « responsable ». Il est très fier de rappeler que ses champs ont reçu des certifications pour leur recyclage de l’eau, qu’il a fait construire une clinique où les soins sont gratuits pour les employés de sa fabrique à Danlí, au Honduras, et qu’il est engagé dans un programme de reforestation… « Je veux aider ce pays qui nous a beaucoup donné. »
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