Bernard Pivot : « J’ai hâte de déguster un bon bourgogne avec des amis ! »
Comme nous tous, Bernard Pivot est confiné chez lui, passant son temps à lire et à écrire, ce qui ne le change guère, et lui rappelle même le bon temps d’Apostrophes.
Désormais membre honoraire de l’Académie Goncourt, il se tient toujours au fait de l’actualité littéraire, qu’il chronique dans le Journal du Dimanche, même en ces temps de crise. Pour L’Amateur, avec humour, il raconte son quotidien, morose mais pas trop, et surtout son impatience du retour à la normale, pour savourer à nouveau quelques nourritures terrestres en toute convivialité.
Où êtes-vous confiné ? Dans quelles conditions ?
Après avoir hésité avec ma maison du Beaujolais, j’ai préféré rester à Paris, pour des raisons médicales : j’ai 84 ans, je me suis dit que si je chopais cette saleté de coronavirus, je serais plus facilement soigné à l’hôpital à Paris. Je regrette un peu maintenant. J’aurais sans doute été mieux à la campagne, comme beaucoup de Parisiens ! Mais ici, j’ai mes amis, ma famille, mes filles et mes gendres. Nous ne nous voyons pas, mais ils me font porter des provisions, des gâteries, du chocolat…
Vous avez grossi ?
Non, pas du tout ! En revanche, ce qui est embêtant, ce sont les cheveux. Non seulement parce qu’ils poussent, mais ils finissent par recouvrir les oreilles, déjà bien encombrées lorsqu’on prend de l’âge : par les prothèses auditives, les branches de lunettes, et maintenant les élastiques du masque !
Vous en portez un lorsque vous sortez ?
Absolument. Je suis un Pivot masqué !
A quoi occupez-vous vos journées ?
D’abord, j’ai la chance de ne pas être au chômage, puisque j’ai ma chronique hebdomadaire dans le JDD. J’y traite des livres parus avant le confinement, et ils sont nombreux. Et puis, pour moi, le confinement n’est pas quelque chose de nouveau. Durant les quinze ans d’Apostrophes, je vivais presque confiné, ne sortant parfois de chez moi que le vendredi soir pour aller faire l’émission. Mais c’était un confinement volontaire, professionnel, fructueux. Rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui. Je lis, j’écris, je téléphone, je fais le ménage, je fais mon lit… Je viens de relire Vendredi ou les limbes du Pacifique de feu mon ami Michel Tournier, qui parle de Robinson Crusoé, le confiné le plus célèbre de la littérature. J’ai préféré Tournier à Defoe. Je songe aussi à relire Le Désert des Tartares, de Buzzatti. En revanche, je ne me sens pas de relire A la recherche du temps perdu, comme font pas mal de gens en ce moment. Ce serait rajouter de la maladie à la maladie. En encore moins La Peste ou Le Hussard sur le toit !
Vous vous consolez aussi avec quelques nourritures terrestres : vin, cigares… ?
Hélas non. Le vin, pour moi, c’est le symbole du bonheur, du plaisir, de la fête. Je ne bois jamais tout seul. J’ai vraiment hâte de déguster un bon Bourgogne avec des amis, ou en famille. Quant au cigare, j’ai arrêté il y a six mois.
Est-ce la première fois, dans notre histoire, que toute l’activité littéraire et éditoriale se trouve complètement à l’arrêt ?
Je pense, oui. Même pendant la guerre de 1939-45, les librairies étaient ouvertes, les éditeurs publiaient, et des livres se vendaient. Il y a eu aussi un moment, en Mai 68, où tout était à l’arrêt. Mais rien de comparable avec la situation actuelle.
Vous même deviez publier début mai, chez Albin Michel, un récit intitulé Et la vie continue. Qu’en est-il ?
Le livre est repoussé, bien sûr, je ne sais pas à quand. Vraisemblablement l’année prochaine. C’est logique, c’est un livre qui traite, d’une façon qui se veut plaisante et optimiste, de mon âge, du vieillissement et de la vieillesse. Difficile de le sortir au moment où le coronavirus fait tant de victimes dans les Ehpad.
Vous êtes donc une « victime collatérale » de l’épidémie ?
Si vous voulez, mais littéraire plutôt que médicale. Je préfère de loin !
Comment voyez-vous la rentrée littéraire ?
Accablante. L’activité va sans doute reprendre avant l’été. Les librairies vont rouvrir progressivement, des livres nouveaux vont paraître, on l’espère tous, en mai, juin, juillet. Mais, en août, cela va être un embouteillage terrible : d’abord dans les imprimeries, puis dans les librairies, et chez les professionnels : journalistes, jurés des grands prix littéraires. Mes amis de l’Académie Goncourt vont moins que jamais pouvoir tout lire. Aux auteurs prévus de longue date à la rentrée vont s’ajouter tous les « rattrapés » du printemps. Il va y avoir pléthore.
Quelles conséquences pour le prix Goncourt, même si vous n’êtes désormais que membre « honoraire » de l’Académie ?
Le prix sera décerné, et à l’heure, en novembre. En revanche, la première sélection de titres risque d’être compliquée à établir et retardée. Les autres prix décernés par l’Académie au printemps, en revanche, comme le Goncourt du Premier roman, devraient être maintenus. Mes « camarades Goncourt » sont des gens organisés : même s’ils ne peuvent pas se voir en ce moment, ils communiquent entre eux par les moyens les plus modernes !
Depuis l’album culte du regretté René Pétillon, Les disparus d’Apostrophes (Dargaud, 1982), on vous imagine chez vous, en pantoufles et robe de chambre douillette, lisant des livres. L’image correspond-elle à votre réalité ?
Oui, pour les pantoufles et la robe de chambre, jusqu’à neuf heures du matin. Après, je suis prêt et habillé ! En revanche, Pétillon m’avait affublé d’un fume-cigarette, et je n’ai jamais fumé la cigarette de ma vie ! C’était une sorte de licence poétique…
Propos recueillis par Jean-Claude Perrier
Nous vous proposons également de (re)lire le Grand Entretien que Bernard Pivot nous avait accordé en juin 2017 (ADC n°119). Lien ci-dessous.
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