Les banques peuvent-elles vraiment se couper du secteur du tabac ?
Deux banques viennent d’annoncer qu’elles se retirent des investissements liés au tabac. Une décision inspirée par la morale ou par l’intérêt financier ? Enquête.
Par Emilie Glavany
Si les clichés ont la vie dure, le banquier amateur de gros cigares pourrait bien troquer son puro contre un bol de quinoa équitable… Du moins, c’est ce que laissent à penser les récentes annonces des deux groupes bancaires BNP Paribas et Natixis. Fin 2017, ils déclaraient, tour à tour, se retirer progressivement des investissements liés au tabac.
« Nous avions déjà annoncé en 2016 une diminution de notre soutien à l’industrie du tabac. Face au mouvement croissant de désinvestissement dans le monde, qu’il s’agisse de fonds de pension, de banques ou d’investisseurs, et aux recommandations de l’OMS en matière de santé, nous avons considéré que la solution était de cesser nos activités de financement et d’investissement », expliquait alors Laurence Pessez, responsable RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) de BNP Paribas.
Un engagement similaire de la part de Natixis a suivi en décembre. Et le communiqué de préciser : « L’exclusion s’applique dans le monde entier et à tous les métiers de Natixis : la banque de grande clientèle [activités de marché, ndlr], les services financiers spécialisés, l’assurance et la gestion d’actifs, dans le respect du devoir fiduciaire de ses affiliés. » Une annonce qui a été diffusée tout juste une semaine après la décision de la banque de se retirer des projets de financement liés au pétrole issu des sables bitumineux, dans le respect de ses engagements en faveur du climat.
Banques et tabac : Un levier de communication ?
Ces banques chercheraient-elles à s’acheter une morale ? Pour le gérant de fonds d’investissement que nous avons interrogé, « comme toutes les entreprises commerciales, les banques n’ont pas a priori vocation à distribuer des bons points aux différents acteurs économiques. Mais depuis la crise financière, elles sont soumises, plus que d’autres, à une très forte pression morale ».
Largement montré du doigt depuis une dizaine d’années, le secteur dans son ensemble se soumet à de nouvelles règles de bonne conduite dictées par les agences de notation dont les labels ISR (Investissements socialement responsables) ont de plus en plus de poids. Ces labellisations étant des critères majeurs d’investissement aux yeux des grandes institutions (États, fonds de pension, assureurs), le respect de leurs recommandations devient un enjeu important pour les banques, qui n’ont d’autre choix que de s’y soumettre.
En outre, BNP et Natixis sont des banques françaises qui n’ont pas un accès naturel aux grands acteurs actuels du tabac, plutôt situés dans des pays anglo-saxons ou au Japon. Leurs parts de marché n’étaient donc pas stratégiques et leurs décisions pourraient ainsi relever d’un plan de communication à moindre coût si l’on considère que le tabac ne constitue pas un grand enjeu financier.
Ajoutons que, pour ces banques dont l’activité de réseaux dans le secteur du tabac (comptes personnels et professionnels des bureaux de tabac, civettes) est très importante en France, le financement des buralistes et des détaillants ne sera pas remis en cause, comme le précise la responsable RSE de BNP Paribas.
Impossible pour une banque de se couper du tabac
« Concrètement, quand BNP et Natixis annoncent de telles mesures, cela signifie qu’elles ne participeront plus directement au financement des investissements de groupes comme British American Tobacco, Philip Morris ou Imperial Tobacco (une nouvelle usine, une acquisition, etc.) et qu’elles limiteront leurs investissements directs dans les actifs du secteur à la seule gestion indicielle », nous explique notre gérant de fonds d’investissement. En effet, les activités de marchés financiers utilisent abondamment des produits indiciels comme, pour les valeurs françaises, le CAC 40. Mais sur les places boursières internationales, on investit dans les principaux indices que sont le MSCI World, le S&P 500 ou encore le FTSE 100. Or, ces indices regroupent les différentes valeurs boursières d’entreprises qui n’excluent pas les groupes de tabac. Il est donc parfaitement impossible pour une banque de se couper complètement et absolument du tabac.
« C’est une très bonne chose ! affirme notre expert. C’est illusoire de penser que nous réglerons les problèmes de santé publique de cette façon. La finance, comme la nature, a horreur du vide. Quand les financements officiels d’un secteur, quel qu’il soit, sont coupés, on sait bien que ce sont des organisations peu scrupuleuses et souvent illégales qui prennent leur place. La prohibition ne marche pas ! Et personne n’est dupe. » Ces engagements ne seraient donc pas beaucoup plus qu’un effet d’annonce et une concession à la pression d’une finance nouvelle, bienveillante et moraliste. Peut-être la simple expression de l’air du temps…
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La croisade anti-tabac des banques : une grande hypocrisie
Ces quatre indices boursiers servent de référence à tous les grands investisseurs mondiaux. Toutes les banques, sans exception, investissent dans ces indices au quotidien. Ils sont entre autres élaborés avec des valeurs boursières d’entreprises liées au tabac.
FTSE 100
Le FTSE 100 est l’équivalent britannique du CAC 40. Il compte parmi ses valeurs :
- British American Tobacco à 5,6 %
- Imperial Brands à 1,4 %
S&P 500
Le S&P 500 est le principal indice américain. Il compte parmi ses valeurs :
- Philip Morris à 0,7 %
MSCI Europe
Le MSCI compte parmi ses valeurs :
- British American Tobacco à 1,95 %
Nikkei
Le Nikkei est le principal indice japonais. Il compte parmi ses valeurs :
- Japan Tobacco à 0,8 %
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