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La musique aurait une incidence sur la dégustation de cigare !

Par annie lorenzo,
le 25 novembre 2019

Le cadre dans lequel vous dégustez un cigare a un impact sur votre perception. Et en particulier votre environnement sonore. Explications.

Par Bernard Burtschy

Confortablement installé dans un fauteuil en cuir, dans une atmosphère paisible, la musique en sourdine, vous savourez tranquillement votre cigare. Pour une fois, vous avez eu le temps de le tâter et de le fumer à cru. La coupe est parfaite, l’allumage s’est effectué dans les règles de l’art, et vous avez même pu utiliser vos allumettes longues. Ce moment exceptionnel, propice à la méditation, fait gambader votre esprit et vous laisse tout le loisir d’apprécier les différentes phases de la dégustation, de les décortiquer même. Malheureusement, de tels moments sont rarissimes.

Le plus souvent, vous allumez votre cigare dans des circonstances moins propices : le briquet-torche s’impose et l’environnement est nettement plus bruyant, comme en voiture, par exemple. Et là, le cigare n’est plus tout à fait le même. Pourtant, vous avez vos repères, il s’agit de la même marque, du même module pris dans la même boîte. C’est à n’y rien comprendre.

Charles Spence, professeur et chercheur au département de psychologie expérimentale d’Oxford, s’est attaché à démontrer l’influence de l’environnement – terme pris au sens large – sur la dégustation. Parmi ses exemples favoris, il raconte volontiers que le jus de tomate est l’une des boissons les plus souvent choisies par les passagers dans les avions, mais que revenus au sol, les mêmes n’en consomment jamais. L’explication tient au bruit du vol (80 dB) qui ne permet pas d’apprécier les saveurs douces : il faut de fortes notes salées et même d’umami pour s’imposer. Or le jus de tomate cumule justement ces deux saveurs. Charles Spence a décroché en 2008 le prix Ig Nobel qui couronne des recherches insolites mais qui font réfléchir.

À propos de bruit, de nombreuses expériences ont été effectuées. Ainsi, on a observé que dans un supermarché anglais qui propose des vins allemands et français sous leurs drapeaux respectifs, les jours où sont diffusés des chants bavarois, les ventes de vins allemands doublent. Lorsque, au contraire, passe de la musique française avec de l’accordéon, les ventes de vins français quintuplent ! Et les consommateurs n’ont pas du tout conscience du phénomène.

Le volume de la musique est aussi très important : plus il est élevé, plus le consommateur boit, et il boit aussi plus vite, ce qui n’a pas échappé bien sûr aux gérants de discothèques. D’autres recherches aux États-Unis ont montré que la musique classique encourage la vente de bouteilles plus chères. Malheureusement, en matière de cigares, les données font défaut, mais il est certain que les bouffées sont moins rapprochées dans un environnement calme et plus compulsives dans un bruit plus important.

Gastro-physique et neuro-gastronomie

Dans d’autres recherches, le professeur Adrian North, de l’université d’Édimbourg, a montré que le type de son influait directement sur la perception des arômes et des saveurs. Ainsi, un même verre de chardonnay est jugé plus acide et plus rafraîchissant sur la musique de Carmina Burana de Carl Orff qu’en dégustation silencieuse. Toutes ces études s’inscrivent dans de toutes nouvelles disciplines, la gastro-physique et la neuro-gastronomie. La première observe le comportement du consommateur au restaurant ou en laboratoire. La seconde étudie le cerveau à l’aide d’un scanner pour rechercher les parties stimulées.

L’origine de ces disciplines est le livre de Jean Anthelme Brillat-Savarin Physiologie du goût, publié en 1825 et qui est toujours d’une grande actualité. Même s’il ne connaissait pas la psychologie et encore moins les neurosciences, Brillat-Savarin précisait déjà : « La gastronomie considère aussi l’action des aliments sur le moral de l’homme, sur son imagination, son esprit, son jugement, son courage et ses perceptions, soit qu’il veille, soit qu’il dorme, soit qu’il agisse, soit qu’il repose. »

Les dégustateurs professionnels de vins ont depuis longtemps conscience des effets de biais provenant de l’environnement. Entièrement blanches, à l’écart de toutes sources sonores, les salles de dégustation sont quasi monacales et les séances se déroulent à l’aveugle. Mais ce n’est pas la panacée non plus. L’heure de dégustation peut jouer : tout comme les juges sont moins sévères après un bon repas qu’avant, les dégustateurs sont plus cléments après avoir déjeuner qu’avant : « […] l’homme repu n’est pas le même qu’à jeun », notait déjà Brillat-Savarin.

La musique « entremetteuse »

Mais justement, un jury de dégustation, qu’il s’agisse de vins ou de cigares, doit-il être plus ou moins sévère ? Certes, on attend de lui qu’il soit « objectif », comme le sont les propriétés physiques et chimiques du vin, des paramètres mesurables et mesurés, mais la perception individuelle est, même si les professionnels s’en défendent et même si elle doit être minimisée, tout à fait subjective.

Cette question n’est pas de mise dans une dégustation hédoniste où, au contraire, tout doit être fait pour que le moment soit le plus agréable possible. La finalité n’est plus une analyse objective forcément un peu froide, mais une description esthétique. La dégustation à l’aveugle n’a guère de sens dans ce cas, car la connaissance du contexte est indispensable. Un vin, comme un cigare, c’est aussi un style dont il faut juger l’adéquation et la pertinence.

Alors qu’une dégustation professionnelle s’effectue dans un silence absolu, la musique joue pour les amateurs un rôle d’entremetteur. De très nombreuses expériences ont été effectuées dans le monde du vin avec, entre autres, celle menée par Clark Smith en Californie avec 150 vins et 250 morceaux, soit 37 500 combinaisons. Le tout est de parvenir, comme le chef Heston Blumenthal avec la gastronomie, à une « expérience ». Alors, prêt pour tester vos cigares avec différents morceaux de musique ?