Quel est l’avenir économique du havane ?
Le cigare est l’un des secteurs les plus rentables de l’économie cubaine. À l’heure des changements politiques intérieurs et de la nouvelle donne diplomatique internationale, pourra-t-il, malgré les contraintes qu’il subit, continuer à tenir son rang à Cuba ?
Par Juan Triana*
L’industrie du tabac (production agricole, processus industriel et commercialisation) emploie aujourd’hui plus de 200 000 personnes (4 % des actifs du pays), dont 40 000 travaillent dans les secteurs industriel et commercial.
La partie agricole est, pour 98 % des terres, entre les mains d’exploitations privées et de coopératives. 28 371 hectares de tabac ont été plantés en 2017 dont 2 683 uniquement destinés aux feuilles de cape. Contrairement à la canne à sucre, dont la production reposait sur le travail d’une main-d’œuvre servile, le tabac a toujours été cultivé par des paysans libres travaillant dans des exploitations familiales. Leur savoir-faire, qui perdure de nos jours, se transmet de génération en génération.
La partie industrielle est elle organisée de manière pyramidale, chapeautée par une entreprise d’État, Tabacuba. Ce groupe comprend une quarantaine d’entreprises présentes sur tout le territoire, dont trois entreprises mixtes. Parmi celles-ci, la société qui produit les cigares faits main : Habanos S.A., détenue à 50 % par Cubatabaco et à 50 % par Imperial Tobacco (qui a racheté Altadis S.A.).
Le secteur le plus rentable à l’export
Les ventes de havanes se sont élevées à 455 millions de dollars en 2016 et, avec une augmentation de 12 %, à 500 millions de dollars en 2017, ce qui classe les cigares parmi les trois produits cubains les plus exportés. En outre, avec 17 631 dollars générés par hectare cultivé, le tabac est la culture d’exportation la plus rentable.
85 millions de cigares cubains faits main sont vendus dans le monde chaque année. Les marchés les plus importants sont l’Espagne, la France, la Chine, l’Allemagne, Cuba (marché intérieur), la Suisse, le Liban, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni et le Canada. Le marché européen, qui représente 54 % de l’augmentation des exportations en 2017, est sans aucun doute le plus dynamique, avec à sa tête l’Espagne. Ce partenaire historique confirme sa première place des pays importateurs de havanes premium. L’Europe est suivie de l’Amérique (17 %), de l’Asie-Pacifique (15 %) et de l’Afrique et du Moyen-Orient (14 %). En Asie, le marché chinois est le plus important, avec une croissance de 33 % en 2017.
Un marché intérieur en hausse et un leadership mondial
Les ventes sur l’île ont été largement favorisées par la croissance du tourisme, en particulier par l’augmentation du nombre de visiteurs en provenance des États-Unis. Un phénomène qui, avec la politique de flexibilisation des réglementations douanières du gouvernement Obama, a contribué à l’augmentation des ventes à la frontière.
Vingt-sept marques de renommée internationale se partagent ces ventes sur les marchés intérieur et international. Si l’on exclut le marché étasunien, les cigares cubains faits main représentent 85 % du marché mondial. Selon le bilan annuel 2017 du groupe Imperial Tobacco, les trois marques vedettes sont Cohiba, Montecristo et Romeo y Julieta qui représentent actuellement 50 % des bénéfices du groupe.
Un avenir menacé ?
Dans les prochaines années, Tabacuba prévoit une augmentation des surfaces cultivées, qui atteindront 36 700 hectares pour la récolte 2020-2021, soit 8 000 hectares de plus qu’aujourd’hui.
Mais le développement de la production et de l’exportation est soumis à des éléments non contrôlables. D’une part, les surfaces cultivables sont limitées et non extensibles. D’autre part, les campagnes de prévention contre le tabac ont désormais une incidence sur la demande. Quant aux contrefaçons, elles représentent un problème de plus en plus important pour le secteur.
L’embargo américain constitue, lui, un obstacle pour la croissance des exportations. Toutefois, la stratégie de commercialisation cubaine a permis un développement des exportations vers d’autres marchés, notamment l’Asie ; la Chine et peut-être l’Inde se profilent à court terme comme des marchés intéressants. Il faudra également s’attendre à voir le marché russe gagner en dynamisme suite au récent rapprochement entre les deux pays.
Les enjeux sont grands mais l’avenir du havane semble garanti. La tradition a été préservée, l’industrie s’est renforcée et la commercialisation reste l’un des points forts du secteur.
* Juan Triana, professeur à l’université de La Havane, est l’économiste le plus en vue à Cuba. Une vidéo lui a récemment assuré la célébrité. Diffusée sur le Paquete – le Web off line cubain –, elle été reprise par plusieurs médias étrangers. Elle le montrait donnant des cours d’économie aux cadres du Minint (ministère de l’Intérieur), ce qu’il fait régulièrement, mais a surpris une bonne partie de ses concitoyens.
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