Au menu d’Alexandre Polmard : Steak et Robustos…
Dernier rejeton d’une dynastie d’éleveurs, le boucher star Alexandre Polmard se singularise en faisant « hiberner » ses viandes. Millésimées, elles s’arrachent à prix d’or et peuvent se déguster avec un cigare.
Par Dominique Couvreur
« Les marchandises étaient étalées devant la fenêtre, sur une tablette faisant saillie au-dehors et un auvent de bois accroché en l’air protégeait les chalands contre la pluie… » Si Gustave Pessard, auteur du Nouveau Dictionnaire historique de Paris (1904), qui décrit ainsi le passage de la Petite-Boucherie au xixe siècle, décrochait par miracle le rôle de Jacquouille dans le prochain avatar des Visiteurs, il risquerait d’être surpris. La maison au n° 3 a gardé l’étal en pierre, mais il ne reste qu’une seule boucherie, au coin de la rue de l’Abbaye, celle d’Alexandre Polmard. Pas de billot, pas de bifteck aux crocs. Elle ressemble plus à une joaillerie de la place Vendôme : pièces de viande exposées dans les casiers de l’armoire réfrigérée et lumière scénographiée. Les viandes sont maturées et congelées (on dit ici « hibernées ») selon des procédés singuliers.
Du veau à la surprise
Achetés sous la mère vers cinq ou six mois, selon des critères qui vont jusqu’à tenir compte du poil et du cuir, les veaux – de race blonde d’Aquitaine – qui arrivent au domaine de Saint-Mihiel (Meuse) y passeront deux ans en plein air, se nourrissant d’herbes, d’écorces et de feuilles. Les six derniers mois, les génisses seront nourries dans leurs boxes au tourteau de colza, au triticale (hybride de blé et seigle), à la luzerne, à la pulpe de betterave et au foin. « L’alimentation influence l’acidité, la qualité du grain de la viande et du gras intermusculaire » explique Alexandre Polmard.
Après l’abattage vient la maturation. Contrairement à l’usage habituel de procéder par quartiers entiers, Alexandre Polmard isole chaque muscle pour une maturation spécifique : les 600 g de la surprise, les 800 g du mouvant, détachés d’une carcasse de plus d’une tonne, pourront passer par des processus différents en fonction de leur acidité ou de leur texture…
Puis c’est l’hibernation, un procédé original mis au point par François Polmard, le père d’Alexandre, qui permet de figer la viande au stade optimum de sa maturation, à une température de – 43 °C et avec une ventilation de 4 mètres par seconde. Hibernée, la viande n’évolue plus, ne se bonifie plus, mais, millésimée, elle permet éventuellement de jouer… Par exemple en assortissant millésimes de vin et de viande. Un partisan de la cryogénisation pourrait ainsi fêter sa résurrection espérée avec une côte de bœuf de l’année de son décès !
Le millésime permet aussi de spéculer… Une côte de bœuf achetée 900 euros par Fabrice Vulin, chef du Caprice au Four Seasons de Hong Kong, s’est envolée aux enchères à 3 500 euros. Plus modestement, en 2012, une autre côte a été adjugée 400 euros lors d’une vente au profit de la Croix-Rouge chez Artcurial…
Les chefs se disputent ces viandes pour leur mâche et leur jus : « Guy Savoy sert le paleron snacké, Arnaud Lallement le faux filet en croûte au bœuf séché, Fabrice Vulin choisit la côte et la surprise, Frédéric Sandrini (une étoile à Hagondage) la côte et le contre-filet. »
Verdi et Céline Dion
« J’avais vingt ans, à la sortie d’une séance de cinéma avec un copain. Je n’avais jamais fumé de clopes. Sur un coup de tête, on s’est acheté un D4 de Partagas et un Churchills de Romeo y Julieta. On les a fumés en se les échangeant, avec une bouteille de Jack Daniel’s. C’est devenu vraiment sérieux un peu plus tard. Alors que j’étais entré au Ritz un jour de pluie pour boire un chocolat chaud au bar Hemingway, Colin Field m’a initié aux accords. Cela s’est systématisé avec Michel Roth : on se retrouvait tous les samedis pour s’initier aux différents rhums et whiskies… »
Alexandre Polmard fume trois à quatre modules par jour, presque toujours des cubains, parfois des Morning Churchill de Sumatra achetés en Suisse. « Je fume dès huit ou neuf heures du matin, en allant voir mes vaches, avec un mug de café. » Et sinon ? « Pratiquement tout le temps. En voiture, en écoutant de la musique : du jazz, beaucoup de Sinatra, du rap américain, de l’opéra italien et Céline Dion. En mangeant : j’aime beaucoup fumer en mangeant de la viande. En buvant : des bas-armagnac, le Spécial Cuvée de Bollinger, un Isley malt de Lagavulin… »
Abonné quasi exclusivement aux robustos (Bolivar Royal Coronas, Hoyo de Monterrey Epicure N° 2, D4 Partagas et Pittbull), Alexandre Polmard se fournit chez le marchand de tabac de Saint-Mihiel, à Verdun, au Luxembourg, dans les aéroports et les grandes civettes, par boîtes entières : « Je les tâte un par un, je sais que ce n’est pas le même torcedor qui a roulé toute la boîte. »
Moyennement porté sur les accessoires – « Je possède deux caves, mais j’ai le projet d’une armoire de trois à quatre pièces, quatre étuis, un briquet S.T. Dupont Spectre, assorti à mon Land Rover Spectre, un petit séchoir anglais du xixe siècle » – et persistant à couper la tête de ses cigares d’un coup d’ongle, Alexandre Polmard a converti le pré carré germanopratin au mouvant, à la surprise et aux abats « de la langue à la queue ». Lui professe n’aimer rien tant que la compagnie de ses blondes…
Les cigares du Boucher
Alexandre Polmard s’est récemment lancé dans la production de cigares au Honduras. Ils seront disponibles à la fin de l’année 2017 en civettes.
Boucherie Polmard
2, rue de l’Abbaye, 75006 Paris
01 43 29 76 48
www.polmard.com
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