Sam Reuter, la figure de l’innovation chez Davidoff
Pièce majeure du nouvel échiquier Davidoff, Sam Reuter est le médiateur entre la direction du groupe et les responsables de la fabrication en République dominicaine et au Honduras. À lui de vérifier que les nouvelles vitoles proposées par les maîtres de liga correspondent bien au cahier des charges. Une mission aussi diplomatique que technique.
Ça bouge chez Davidoff. Cet été, le groupe s’est donné un nouveau président (Domenico Scala, qui remplace Andreas Schmid) et un nouveau CEO (Beat Hauenstein, qui remplace Hans-Kristian Hoejsgaard). En octobre ont été inaugurés en grande pompe les 7 000 m2 du nouveau siège social à Bâle. Le catalogue, lui, s’est refait une beauté en se réorganisant de façon beaucoup plus lisible. Bagues blanches et noires se partagent désormais l’échiquier Davidoff. Les premières regroupent les classiques du label, qui respectent l’orthodoxie maison et sont issues du terroir dominicain : Millenium, Signature, Grand Cru, Aniversario, 702 Series, Winston Churchill. Les secondes, elles, innovent avec de nouveaux terroirs, de nouveaux mélanges, de nouveaux procédés de fabrication : Nicaragua, Nicaragua Box Pressed, Escurio, Yamasa, Winston Churchill The Late Hour. Des Éditions limitées (Year of, Art Edition…) complètent cette offre.
Jeune directeur de l’Innovation du groupe, Sam Reuters incarne la volonté de rajeunissement et de modernisation de la firme bâloise, créée par Zino Davidoff au début des années 30. Nous l’avons rencontré.
L’Amateur de Cigare : Vous avez trente-trois ans, c’est jeune pour un tel poste. Quel est votre parcours ?
Sam Reuters : Je dois d’abord dire que j’ai découvert ce monde grâce à L’Amateur de Cigare ! C’était au Luxembourg, mon pays de naissance, en 2003. Je lisais tous les numéros de L’Amateur et le Havanoscope. J’ai d’abord fait l’école hôtelière en Suisse. Pendant un stage dans un restaurant à Lugano, entre le service du midi et celui du soir, je passais mes après-midi au bord du lac à tester toute la gamme des cigares cubains. De façon quasi systématique, je les ai presque tous goûtés, par ordre alphabétique, de Cuaba à Vegas Robaina. Puis, après un passage de quelques mois au Ritz, à Paris, j’ai été embauché chez Davidoff en 2009 pour devenir d’abord responsable du marché suisse pour toutes les marques du groupe (Camacho, Winston Churchill, Avo…) hors Davidoff. En 2013, le premier gros projet qu’on m’a confié, c’est la préparation du Davidoff Nicaragua. Depuis, je participe au choix de tous les mélanges de nouveaux cigares.
L’ADC : Qu’est-ce que cela signifie ?
Sam Reuters : Il y a quatre ans, quand nous avons commencé à travailler sur le projet d’un cigare intégrant du tabac du Nicaragua, la difficulté, c’était que nous arrivions après tout le monde, sur un terroir déjà largement exploré par de grandes marques. Henke Kelner et Eladio Díaz [les deux responsables des assemblages Davidoff en République dominicaine, ndlr] nous ont proposé sept mélanges, avec chacun différentes quantités de tabac nicaraguayen. Mais nous les avons poussés à travailler sur un puro, composé uniquement de feuilles provenant du Nicaragua. Il a fallu deux années de travail pour que ce nouveau cigare atteigne l’harmonie et l’équilibre d’un Davidoff et puisse trouver sa place au milieu de tout ce qui était déjà proposé sur le terroir Nicaragua.
L’ADC : Deux années de travail, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Sam Reuters: Nous avons d’abord un comité de dégustation en interne. Il est composé de membres de la direction et de la famille propriétaire du groupe. J’y ai aussi fait entrer quatre personnalités extérieures, notamment pour représenter les différents marchés (Asie, Amérique…) car quand nous lançons un projet, il est forcément international, le cigare doit s’adresser à tous les amateurs dans le monde. J’ai également fait appel à une entreprise de Hambourg qui possède un fichier de plusieurs centaines de fumeurs de cigares, une sorte de panel dans lequel on peut choisir telle proportion d’hommes et de femmes, telle pyramide des âges, etc. Nous avons constitué un échantillon et ils ont testé le Davidoff Nicaragua à l’aveugle, sans savoir comment il était composé ni quelle marque le proposait.
L’ADC : La ligne Davidoff Nicaragua a-t-elle marqué un tournant dans votre maison ?
Sam Reuters : Oui, ce projet nous a ouvert les yeux, notamment à nos assembleurs, sur les possibilités de mariage entre les tabacs dominicains et des feuilles issues d’autres terroirs. Car Davidoff n’est pas un terroir, c’est une marque. Nous avons, en quelque sorte, renversé la logique qui prévalait auparavant, en partant de la demande pour remonter vers la production et élaborer le produit souhaité. Cela a pu occasionner quelques tensions avec notre master blender Henke Kelner, mais maintenant, ça fonctionne très bien. Comme l’a montré notre projet suivant, le Davidoff Escurio.
L’ADC : Vous avez également dirigé le lancement de ce cigare composé en partie de tabac brésilien
Sam Reuters : Nous avons régulièrement des séances de brainstorming et au cours de l’une d’entre elles, à l’approche de la Coupe du monde de football et des jeux Olympiques [qui allaient se dérouler au Brésil en 2014 et 2016, ndlr], a émergé l’idée d’un cigare brésilien. Il y avait d’ailleurs déjà eu un Davidoff brésilien, en 1970, avec une bague verte. Nous avons reçu trois échantillons de nos assembleurs. Le premier était excellent, mais seule une petite partie de la tripe était composée de tabac brésilien, ce qui ne nous a pas paru suffisant – nous avons quand même conservé cet assemblage pour en faire notre Édition limitée Art Edition 2017. Pour parvenir à ce que nous attendions, les assembleurs ont ajouté une sous-cape brésilienne et lorsque nous avons fait des dégustations à l’aveugle, personne n’a réussi à retrouver l’origine de cette fumée à la fois épicée et douce, caractéristique des tabacs brésiliens. En revanche, nous n’avons pas essayé de composer un puro 100 % brésilien, car il n’y avait pas, selon nous, de bonnes feuilles de cape brésiliennes.
L’ADC : Une fois qu’un cigare est lancé, comment obtenez-vous des retours du terrain ?
Sam Reuters : Il y a, bien sûr, les chiffres des ventes, mais pas seulement. Même si ce n’est pas très méthodique, nous écoutons ce que nous disent les grossistes dans chaque pays, les détaillants, les amateurs que nous rencontrons lors d’événements divers. Et nous sommes également très attentifs aux notes données à nos cigares par la presse spécialisée.
Propos recueillis par Laurent Mimouni
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