Jean-Jacques Bourdin

Jean-Jacques Bourdin : « Certains se cachent, pas moi ! »

Par supercigare,
le 29 janvier 2018

Jean-Jacques Bourdin, à la tête de la matinale de RMC et de l’interview politique du matin sur RMC et BFMTV, nous a donné rendez-vous pour un cigare dans une brasserie de Montparnasse. À soixante-huit ans, cet amateur de havanes qui affiche l’une des plus belles carrières journalistiques du paysage audiovisuel français ne mâche pas ses mots.

L’Amateur de Cigare : Qu’est-ce que vous fumez, là ?

C’est un Cohiba. Je fume souvent des Cohiba, même si ce sont des cigares chers, car le label est une garantie de qualité. Je les trouve extrêmement équilibrés, ni trop forts ni trop doux. Je fume aussi des D4 ou d’autres marques cubaines, mais jamais autre chose que des havanes. Parmi les autres terroirs, j’ai tout essayé, mais je n’ai rien aimé. Ça, c’est mon module de 19 heures pendant une semaine de travail. J’en fume trois ou quatre par semaine, davantage en été où c’est plutôt un par jour. Le reste de l’année, j’ai moins de temps, et ça devient de plus en plus difficile de fumer : il faut trouver le lieu, être certain de ne pas gêner – je fais très attention à cela. Du coup, je cherche les terrasses chauffées. Pour me fournir, je vais la plupart du temps à la Civette de l’Alma [15, av. Rapp, dans le VIIe arrondissement de Paris, ndlr]. Le propriétaire est un maniaque de la conservation. Je n’ai jamais été déçu par un cigare venant de chez lui.

L’ADC : Comment avez-vous été initié ?

J.-J. B. : Par un ami. J’ai longtemps fumé la cigarette, et vers quarante-trois ou quarante-quatre ans, comme tout fumeur de cigarettes, je cherchais comment arrêter. J’ai essayé dix fois et j’ai repris dix fois. Un jour, un ami m’a dit : « Moi, j’ai arrêté grâce au cigare. » J’ai trouvé ça étrange. Il a insisté : « Tu vas voir, tu perdras le goût de la cigarette et tu te sentiras beaucoup mieux, c’est un produit complètement différent, qui procure des sensations différentes. » J’ai donc commencé… avec un mauvais cigare, car je n’avais pas beaucoup de moyens à l’époque et, surtout, je n’y connaissais rien. Ça m’a un peu dégoûté du cigare, mais aussi de la cigarette. Puis, je me suis renseigné, j’ai lu des trucs. Cet ami m’a fait goûter un bon module, un Epicure. Et là, j’ai découvert le plaisir du cigare, et je n’ai plus jamais retouché une cigarette. Depuis, je ne fume plus, je savoure des cigares.

L’ADC : Quel genre de fumeur êtes-vous ?

J.-J. B. : Je ne suis pas un adepte du cigare en bouche toute la journée. À l’époque où c’était autorisé, quand je faisais le 13 heures sur RTL, il m’arrivait d’en fumer un à la rédaction après le journal. Aujourd’hui, j’apprécie surtout le cigare à l’apéritif, entre 19 heures et 20 h 30, ou après un bon repas dominical, quand j’en ai le temps. J’aime le choc avec l’amertume de la bière ou sur un vieux porto. Quand je suis dans ma maison des Cévennes, c’est un vrai plaisir de tout arrêter, de me poser seul sur la terrasse, face au paysage, et de réfléchir. Je ne peux pas fumer en travaillant, ni même en lisant. Au moment où je le déguste, le cigare prend une place entière. C’est un moment de paix, d’observation et de réflexion – « Un moment de suspension », comme dit mon ami Jean-Paul Kauffmann [fondateur de L’Amateur de Cigare, ndlr].

L’ADC : Comme en rêve tout bon amateur, avez-vous fait le voyage de Cuba ?

J.-J. B. : Oui, j’y suis allé deux ou trois fois. Je garde particulièrement le souvenir de mon passage chez Alejandro Robaina, dans sa maison au milieu des champs de tabac. À l’époque, c’était encore Fidel Castro qui dirigeait le pays. Robaina était l’un des rares planteurs à avoir conservé sa liberté – sa ferme était « semi-étatisée », en quelque sorte. Alors que je visitais sa plantation avec des amis, il a appris que j’étais un journaliste français. Il est venu me chercher, m’a pris par la main et m’a dit : « Suivez-moi. » Et il m’a fait goûter le meilleur cigare de toute ma vie ; nous étions tous les deux dans les rocking-chairs sur sa terrasse. Je n’ai jamais fumé un tel cigare. Peut-être était-ce lié au lieu… En tout cas, ce jour-là, j’ai été définitivement conquis par le cigare.

L’ADC : Vous répétez souvent que vous n’êtes pas du genre à déjeuner ou à dîner avec les hommes politiques, mais avez-vous déjà partagé un cigare avec un politique ?

J.-J. B. : Non, ça ne m’est jamais arrivé. En fait, à part André Santini, je ne sais pas quels hommes politiques sont de vrais amateurs. La plupart n’assument pas… De la même manière, je ne fais partie d’aucun club. À mes yeux, le cigare est un plaisir assez solitaire. Je ne fréquente pas les fumoirs non plus : toutes les fumées se mélangent, je trouve cela épouvantable…

L’ADC : Vous auriez aimé être l’un des deux journalistes qui ont animé le débat de l’entre-deux-tours pour la présidentielle ?

J.-J. B. : Pas spécialement, non. Je n’ai pas envie d’un rôle d’arbitre, mais d’un rôle d’acteur. De toutes les façons, je ne conçois pas l’interview autrement qu’en face à face. Le rôle de l’intervieweur, c’est de poser des questions pour que l’interviewé dise ses convictions – s’il en a… C’est un rôle de révélateur. C’est pourquoi je ne fais jamais non plus d’interview à plusieurs. Car dans ce cas, l’interviewé se sert de la rivalité qui existe nécessairement entre les journalistes pour ne pas répondre, et on ne peut pas aller au fond des choses. Ce qui compte dans une interview, ce n’est pas la première question, c’est la deuxième, la troisième, lorsque vous refermez la question pour obtenir une réponse.

L’ADC : Y a-t-il un invité qui vous résiste encore ?

J.-J. B. : Chez les politiques, non, ils sont tous venus, avec plus ou moins de difficultés. J’ai eu des problèmes avec certains, à certaines époques. Mais ce n’est pas grave, c’est même normal. Même Emmanuel Macron est venu, avant d’être élu. Maintenant qu’il est président, l’invitation a été renouvelée. Je n’irai pas à l’Élysée pour l’interviewer, mais je pense que ça pourrait se faire en terrain neutre. Obligatoirement en face à face. Emmanuel Macron n’est jamais aussi bon que lorsqu’il est dans la confrontation. Sinon, il fait des réponses trop longues et il devient vite très chiant.

L’ADC : En apparaissant dans L’Amateur de Cigare, vous n’avez pas peur pour votre image ?

J.-J. B. : Je m’en fous complètement. Je ne vais pas me cacher. Certains se cachent, pas moi. La police de la pensée commence à me fatiguer.

 

Propos recueillis par Laurent Mimouni

Entré comme journaliste sportif à RTL en 1976, il restera vingt-cinq ans dans cette maison – avec un passage qui a marqué les esprits aux commandes du journal de la mi-journée et de l’émission Les auditeurs ont la parole. En 2001, il rejoint RMC où il mise sur une forte interactivité avec les auditeurs et sur un ton incisif avec ses invités (Bourdin Direct, tous les matins, du lundi au vendredi, de 6 à 10 heures). Depuis 2007, il interviewe chaque matin , sur BFMTV un homme politique en tête à tête pendant une demi-heure, de 8 h 30 à 9 heures.